Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministère actuel sur un plan nouveau, lequel consistait, sauf quelques remaniemens de détail, à donner au ministère un chef, sous le nom de président, ce qui lui donnerait de l’unité, de l’ensemble, et maintiendrait la subordination entre ses membres aussi bien que dans l’intérieur de chaque département ministériel. Cette proposition, accueillie par le roi, qu’elle dispensait des embarras qu’entraîne tout changement de ministère, vivement soutenue par son auteur, et pour cause, froidement par le reste du conseil, aurait peut-être passé, de guerre lasse, si je ne l’avais arrêtée tout court, in limine litis.

<Il Ne s’agit pas ici, dis-je nettement, de savoir qui sera ministre, ni comment sera constitué le ministère, mais de savoir quelle conduite on se propose de tenir ; si l’on entend désormais continuer à résister, avec modération et fermeté, au mouvement qui nous entraîne après nous avoir placés à sa tête, ou bien nous placer à sa queue et le suivre en l’amadouant par des concessions et des complimens, par des promesses et par des caresses. Il est possible que ce dernier paru soit le meilleur, peut-être même le seul praticable, et, dès lors, on ne saurait mieux faire que de placer à la tête du ministère un chef qui le professe ; mais il faut que ce chef soit seconde par des collègues qui l’assistent et ne contrarient ni ses actes ni ses desseins. Si ce chef doit être M. Laffitte, j’y consens, pourvu qu’il soit chargé de choisir lui-même ses collègues, et je prévois que, ne partageant pas son opinion, je ne saurais lui promettre ni lui prêter mon concours. »

Cet argument à bout portant fit son effet. Il obligea M. Laffitte, je ne dis pas à se démasquer, mais à se découvrir, à manifester ses prétentions et à expliquer ses vues. Il n’en fallut pas davantage pour rendre le remaniement du ministère impossible. M. Guizot offrit sa démission comme moi, et le roi accepta l’une et l’autre. M. Laffitte, désormais chargé, en titre d’office, de la présidence, employa plusieurs jours à essayer de se recruter un ministère dans les débris de celui qui se retirait ; il n’y réussit que très imparfaitement. Le roi exerça son ascendant sur le maréchal Gérard et le général Sébastiani ; M. Louis et M. Mole résistèrent à toutes ses sollicitations. J’assistai, à peu près sans y prendre part, aux délibérations qui précédèrent la formation du nouveau ministère. Il eut cela de bon que les ministres sans portefeuille n’y figurèrent plus. M. Laffitte, président du conseil, remplaça M. Louis aux finances ; le maréchal Maison, M. Molé ; M. de Montalivet, M. Guizot. M. de Montalivet était un très jeune homme, à peine avait-il atteint l’âge de sa majorité politique à la chambre des pairs ; mais il se trouva que, choisi à titre de pis-aller, ce fut un excellent choix ; il a rendu,