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par les ennemis de cette liberté réelle et des institutions que la France a conquises, et qui peuvent seules nous préserver de l’anarchie et de tous les maux qu’elle entraine à sa suite. »

Mais, tandis que le roi se félicitait ainsi d’avoir échappé aux furieux qui prétendaient le contraindre à leur livrer la tête des ministres, M. son garde des sceaux faisait insérer au Moniteur, sans en prévenir ses collègues, un article qui promettait, ou à peu près, que la justice aurait son cours, et renvoyait aux calendes grecques le vœu exprimé par la chambre des députés ; et le préfet de la Seine, encouragé par ce bel exemple, et pressé d’employer sa popularité au service du bon ordre, publiait, de son côté, une proclamation conçue en ces termes :

« Vos magistrats sont profondément affligés des désordres qui viennent troubler la tranquillité publique. Ce n’est pas vengeance que demande le peuple de Paris, qui est toujours le peuple des trois grands jours, le peuple le plus brave et le plus généreux de la terre, mais justice. Une démarche inopportune (l’adresse de la chambre des députés) a pu faire supposer qu’il y avait concert pour interrompre le cours ordinaire de la justice à l’égard des anciens ministres ; des délais, qui ne sont autre chose que l’accomplissement des formes qui donnent à la justice un caractère plus solennel, sont venus accréditer, fortifier cette opinion. De là cette émotion populaire qui, pour les hommes de bonne foi, les bons, n’a d’autre cause qu’un véritable malentendu. Je vous déclare donc en toute assurance, mes concitoyens, que le cours de la justice n’a été ni suspendu ni interrompu, et ne le sera pas. »

De telles déclarations faites au nom du gouvernement n’étaient manifestement autre chose qu’un blâme infligé à la très grande majorité de la chambre des députés, et une rétractation des engagemens pris envers elle pour la déterminer à substituer une simple adresse au roi à la proposition de M. de Tracy. C’était bien plus, c’était un engagement contraire pris envers l’émeute de la veille. De là, comme on le pense bien, la discorde au sein du conseil. M. Dupont (de l’Eure), tout en reconnaissant du bout des lèvres qu’il aurait mieux fait de consulter ses collègues avant de les engager par un article officiel, maintint, en substance, l’article lui-même, et refusa d’admettre la nécessité de désavouer et de révoquer le préfet de la Seine ; M. Guizot y insista, et le ministère entra en pleine dissolution.

Ce fut alors, dans les allées et venues, dans les pourparlers et les incidens qu’entraîne forcément un tel état des personnes et des choses, que M. Laffitte introduisit, à titre de conciliation amicale, l’idée de substituer au changement de ministère la refonte du