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Bourbon, fut trouvé mort dans sa propre chambre, dans ce même château de Saint-Leu, où, la veille des ordonnances, il avait festoyé le duc d’Orléans, où, le lendemain de notre victoire, il avait reconnu et félicité le roi des Français. Rien ne faisait présager un tel événement. Le duc de Bourbon s’était couché à son heure ordinaire ; aucun bruit n’avait interrompu, dans le château, la tranquillité de la nuit. Le malin, son valet de chambre, trouvant sa porte fermée en dedans et n’obtenant point de réponse, quelque haut qu’il criât, quelque fort qu’il frappât, se décida à faire enfin enfoncer la porte. « Le premier coup d’œil qui s’offrit aux yeux des assistans fut le cadavre de cet infortuné vieillard suspendu par deux cravates de soie liées en double anneau au bouton de l’espagnolette d’une croisée de la chambre. »

À cette triste nouvelle, immédiatement envoyée au Palais-Royal et annoncée d’abord comme une apoplexie foudroyante, M. Pasquier, M. de Sémouville, assistés du garde des archives de la chambre des pairs, se rendirent en hâte à Saint-Leu pour dresser l’acte de décès. Le corps, dans la position où il avait été trouvé, accroché plutôt que suspendu, les genoux ployés, les pieds presque pendans sur le tapis, leur fut présenté, et le procès-verbal, signé par M. le comte de La Villegontier, prunier gentilhomme de la chambre du prince, et par le comte de Choulot, capitaine-général de ses chasses… La justice locale et le procureur-général vinrent immédiatement pour reconnaître le corps et les lieux. Les premiers médecins et chirurgiens mandés pour procéder ou assister à l’autopsie (Marc, Pasquier, Marjolin) n’hésitèrent pas à déclarer que la mort du prince, causée par la strangulation, devait être le résultat d’un suicide. La face était violacée, la langue sortant entre les dents ; les parties supérieures n’offraient aucune autre lésion qu’une empreinte légère de la cravate ; ses jambes offraient de légères ecchymoses attribuées au frottement contre la croisée ou contre la chaise sur laquelle le prince avait dû monter et qui se trouvait renversée à peu de distance de ses pieds. L’examen des organes renfermés dans les cavités abdominales et thoraciques ne présentait rien d’extraordinaire ; mais en observant attentivement le cerveau, on reconnut un ramollissement de la pulpe cérébrale qui semblait menacer d’une aliénation mentale.

J’entre dans ces détails, textuellement extraits des documens officiels, afin de bien montrer jusqu’où peut aller, dans ses excès, l’entraînement de l’esprit de parti. Croirait-on qu’il s’est rencontré en très grand nombre au premier moment, et qu’il se rencontre même encore aujourd’hui, bien qu’en très petit nombre, des légitimistes honnêtes, sensés, plus enclins à douter de la sincérité des témoins,