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les suppôts de la basoche, et le soir, le salon où M. Laffitte faisait son éternel piquet l’était à tout le tripot de la Bourse : c’étaient deux clubs où les curieux venaient aux nouvelles pour en faire tel usage que de raison ou de déraison.

Force fut bien pourtant de se mettre à la besogne en commençant, comme de coutume, par distribuer quelques bons morceaux aux appétits les plus haut placés, mais, cette fois contre la coutume, sans trop exciter le récri.

Le vice-amiral Duperré, l’un des vainqueurs d’Alger (vainqueur un peu toutefois à son corps défendant), fut nommé amiral. Le maréchal Soult, l’un des vaincus de Waterloo, exclu à ce titre de la chambre des pairs, y fut appelé ; le général Gérard, ministre de la guerre, devint maréchal ; M. Dupin, ministre sans portefeuille, procureur général à la cour de cassation au lieu et place de M. Mourre, démissionnaire : deux nominations où le cabinet se faisait un peu la part du lion. M. de Lafayette reçut le commandant en chef de la garde nationale, énorme, mais inévitable faute que nous faillîmes bientôt payer cher : c’était en faire le comte d’Artois du nouveau régime ; puis, sur une moindre échelle, M. Odilon Barrot fut nommé préfet de Paris, M. de Schonen procureur général de la cour des comptes (ils revenaient l’un et l’autre de conduire Charles X à Cherbourg) ; puis enfin, sur mon insistance, personnelle, M. Villemain devint vice-président du conseil royal de l’instruction publique.

Le plus difficile à colloquer, ce fut Benjamin Constant. Sa réputation comme publiciste était grande et méritée ; comme orateur, médiocre : son caractère était peu considéré. Il ne s’était jamais relevé de son aventure des cent-jours ; déchu surtout à ses propres yeux, il avait vécu, durant la seconde restauration, dans une société d’opposition qui n’était pas de premier ordre ; l’Académie française lui avait obstinément fermé sa porte. Perdu de dettes, épuisé de veilles et de jeu, il n’était guère possible d’en faire un ministre ; le duc d’Orléans ne l’avait point appelé à son conseil intime et, néanmoins, toute position de seconde ligne lui paraissait, non sans quelque raison, au-dessous de lui. Je fus chargé de lui proposer un siège au conseil d’état, qu’il refusa avec hauteur. Je ne me tins pas pour battu. Il entrait dans ma pensée de placer à la tête du conseil d’état le plus important et le plus laborieux de ses comités, le comité du contentieux, en agrandissant beaucoup ses attributions, en le chargeant, sous le nom de comité de législation, de la préparation des lois à intervenir en matière civile et criminelle, et de la rédaction définitive de toutes les lois dont le principe aurait été arrêté, soit en conseil des ministres, soit simplement en conseil d’état. Je proposai à Benjamin Constant la présidence de ce comité avec un traitement proportionné à son