nous serions placés ici-bas pour être heureux. Aucune religion ne l’a jamais admis, ne l’admettra jamais.
Je crois devoir insister à ce propos sur une particularité remarquable, et qui prouverait une fois de plus, s’il le fallait, combien est courte la logique des hommes. Tandis que l’on reproche au pessimisme, en prêchant sa doctrine, d’énerver les courages et de briser les volontés, c’est lui justement, en tout temps et presque en tous lieux, qui a fait en réalité l’éducation du caractère et du vouloir humains : « Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? disait encore Pascal. Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère et véritable, » En effet, l’anéantissement de la volonté n’en est que le suprême effort, et ce n’est qu’à force de l’exercer qu’on arrive à la vaincre. Mais, en attendant, et tandis que l’on travaille à gagner cette suprême victoire, on pratique justement les vertus que les hommes aiment tant (et avec raison) à rencontrer, — dans les autres. On comprend que son bien, quel qu’il soit, ne vaut pas la peine d’être poursuivi au prix d’une injustice ; et l’on quitte à de moins pessimistes sa part de plaisirs, d’honneurs et de pouvoir. On comprend qu’étant déjà mauvaise, il ne faut pas ajouter aux misères de la vie en rejetant son fardeau sur les épaules des autres ; et on le porte soi-même avec plus de résignation ou de véritable vaillance. Et quelques-uns, plus courageux encore, parce qu’ils sont encore plus convaincus de la vanité de l’existence, non contens de leurs douleurs, prennent encore pour eux ce qu’ils peuvent de celles des autres. Que voit-on là qui justifie les invectives que l’on lance contre le pessimisme ? Ce -que le pessimisme enseigne, avec le détachement de la vie, c’est l’abnégation de soi-même, et il n’y a pas de vertu plus haute, parce qu’effectivement il n’y en a ni de plus rare, ni de plus féconde, ni de plus bienfaisante.
Et que l’on ne dise pas que nous exagérons, que nous prêtons à Schopenhauer des conclusions qu’il n’aurait pas souscrites, ou que nous composons à l’usage des bonnes âmes, en nous aidant des débris du sien, un pessimisme hétérodoxe. Il nous serait facile de prouver le contraire. Lisez seulement le quatrième livre du Monde comme volonté et comme représentation, lisez dans les Complémens son quarante-huitième et son quarante-neuvième chapitre : la Négation du vouloir-vivre et la Voie du salut ; ou lisez encore cette seule page que je n’ai pas vue souvent citer, sans doute parce qu’elle dérangerait l’image conventionnelle que l’on a résolu de se faire de Schopenhauer et du pessimisme : « De même que des torches et des feux d’artifice pâlissent et s’éclipsent à l’apparition du soleil ; ainsi l’esprit, comme le génie, et comme la beauté même sont rejetés dans l’ombre et éclipsés par la bonté du cœur. L’intelligence la plus bornée ou la laideur la plus grotesque, dès que la bonté les accompagne et parle en elles, en sont transfigurées ; le