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ne diffère pas entièrement d’elle, qui même n’en diffère que pour être plus étendu, comme le genre diffère de l’espèce, en l’enveloppant ; c’est assez, le temps fera le reste, et l’auteur du Monde comme volonté demeurera dans l’histoire le théoricien de la volonté.

Est-ce bien lui d’ailleurs qui donne trop d’extension au mot de Volonté, ou ne serait-ce pas ses adversaires qui le prennent eux-mêmes dans un sens trop étroit ? La distinction qu’ils prétendent maintenir entre le Désir et la Volonté n’est-elle pas bien subtile, ou peut-être entièrement factice et arbitraire ? Peut-on nier que l’enfant, ou même l’animal veuille ce qu’il désire avec autant de suite, et de force, et de ténacité que l’homme ? Et qui des deux abuse vraiment des mots, Schopenhauer, quand il dit que le cerf veut se soustraire à la dent des chiens, ou celui qui dira qu’il le désire seulement ? « De même que, selon les besoins de sa volonté, chaque espèce animale se montre à nous pourvue de sabots, de griffes, de cornes ou de dents ; de même elle est douée d’un certain cerveau, plus ou moins développé, dont la fonction est l’intelligence nécessaire à sa conservation. » la et non ailleurs, git effectivement et uniquement toute la différence, dans l’entendement, qui, selon qu’il est plus ou moins développé, suggère à la volonté des motifs plus nombreux, et conséquemment plus divers, de faire ou de ne pas faire. Mais ni la diversité des motifs, ni leur nombre, s’ils peuvent bien modifier la nature, la direction ou le caractère de l’action, ne modifient ni n’altèrent surtout l’essence de la volonté. Le vouloir demeure toujours identique à lui-même, et dans l’homme comme dans la nature, par des chemins plus ou moins détournés, il tend toujours au même but, qui est la protection, la conservation et la continuation de la vie. Au surplus, et en nous conformant nous-mêmes à la méthode que recommande Schopenhauer, il suffirait, pour nous convaincre de la valeur de sa u découverte, » de regarder aux faits jusqu’alors mystérieux qu’elle nous a expliqués pour la première fois ; on n’en demande pas davantage aux hypothèses scientifiques elles-mêmes, ou plutôt c’est justement là, dans l’explication qu’elles donnent de l’inexpliqué, c’est là leur raison d’être et leur légitimation.

Je serais infini, si je voulais signaler toutes les applications qu’il en a faites lui-même à tant de problèmes que les philosophes ses prédécesseurs n’avaient pas habitué de traiter. Car, et précisément parce qu’ils avaient mis l’essence de l’homme dans l’intelligence, les actions humaines ne les intéressaient guère, et ils ne se servaient de la réalité que comme d’un prétexte à s’élancer dans la spéculation, quand encore ils daignaient autoriser leurs rêveries d’un prétexte. Mais, au moins, je veux dire quelques mots de sa Métaphysique de l’Amour, qu’il considérait comme « une perle, » nous dit-on ; — car il n’était pas modeste, et la justice que ses contemporains lui refusaient, il savait