Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les journaux officieux de Berlin et de Cologne signifièrent ses volontés à l’Allemagne sur ce ton de valetaille insolente dont ils ne se départent jamais, et l’Allemagne goûta peu leurs hautaines réprimandes. — « Quelle est votre morale politique ? leur a-t-on répondu ; sied-il à des feuilles monarchistes d’applaudir à un complot militaire, à la dépossession d’un prince par ses soldats révoltés ? Vous affirmez que c’était le seul moyen de sauver la paix de l’Europe. Qui sommes-nous donc ? et que faisons-nous de notre prépondérance ? Si la Russie vous paraît si dangereuse, pourquoi l’avoir mécontentée au congrès de Berlin, et à quoi pensiez-vous de soutenir contre elle la Turquie, quand vous prétendez n’avoir point d’intérêts à défendre dans la péninsule du Balkan ? Au surplus, quel profit tirons-nous de notre alliance avec l’Autriche, dont vous faites tant de bruit ? De quoi sert-elle à l’Autriche, qui se plaint d’être sacrifiée par vous ? De quoi nous sert-elle à nous-mêmes, si après l’avoir renouvelée avant-hier, vous en êtes réduits à une politique de complaisance pour la Russie ? » On avait vu depuis longtemps la presse allemande critiquer la politique intérieure du chancelier, mettre en doute son génie financier et administratif, s’attaquer à ses douanes, à son socialisme d’état ; pour la première fois, on la vit discuter avec acrimonie sa politique étrangère, lui reprocher les incertitudes, les inconséquences de sa conduite, se demander si le grand homme qui répond à l’Allemagne de sa sûreté est aussi infaillible qu’on l’avait pensé jusqu’alors.

La presse officieuse s’est tirée d’embarras en s’en prenant à nous ; c’est toujours par là qu’elle commence lorsqu’elle a des chagrins, et c’est par là qu’elle finit. La Gazette de Cologne a bien voulu nous avertir que le chancelier saurait déjouer nos manœuvres et réduire à néant nos desseins pervers. Sûrement ce n’est pas là ce qu’on l’a chargée de nous dire. Cette feuille honnête et polie sait d’ailleurs à quoi s’en tenir sur nos prétendues manœuvres ; elle ne peut ignorer que la forme de nos institutions nous interdit la politique agressive et intrigante, que nos hommes d’état sont trop prudens pour jouer avec la paix de l’Europe, que si la France se sent assez forte pour mépriser les menaces, les insolences et les insolens, elle est trop sage pour s’occuper d’autre chose que de la défense de ses intérêts, qu’elle n’ira pas chercher la vague, qu’elle attendra patiemment que la vague vienne la chercher. La France n’a aucun marché à proposer à personne ; mais est-il de son devoir de tenir à distance ceux qui désirent lui parler, et peut-elle empêcher qu’on ne sache où elle demeure ?

G. Valbert.