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manchot n’était pas allé en France pour y enfiler des perles. » — « Si nous n’avançons point, écrivait-il, il ne nous reste qu’à les amuser. Voyez si la jalousie ne serait pas un ressort capable de les faire agir en notre faveur ; mettez en mouvement toutes les machines de la rhétorique. » C’est ce qu’un spirituel diplomate appelait la politique des cantharides, et il faut convenir qu’en 1886 la Russie en a retiré beaucoup plus de profit qu’en 1879.

Durant ces sept dernières années, l’état du ciel et la conjonction des astres ont changé, et les tireurs d’horoscopes ont dû reviser leurs calculs. Il y a sept ans, la France avait accueilli froidement les insinuations du prince Gortchakof, et M. de Bismarck chargeait le prince de Hohenlohe de remercier M. Waddington de son attitude loyale, du précieux service que le cabinet français venait de rendre aux gouvernemens pacifiques dont l’office est de veiller sans relâche sur le repos de l’Europe. La France cherchait alors sa sûreté dans l’entente cordiale avec l’Angleterre, qui se faisait un devoir de ménager nos intérêts. M. Waddington et le marquis de Salisbury conféraient à Dieppe, et M. de Bismarck disait à ce sujet : « Votre alliance avec l’Angleterre est à mes yeux un gage essentiel de notre tranquillité à tous. La France, appuyée sur l’Angleterre, n’a rien à craindre pour sa sécurité ; l’Angleterre la contient, la préserve des entreprises hasardeuses, et, à son tour, elle contient l’Angleterre, qui pourrait se laisser entraîner dans la voie des aventures si elle se trouvait isolée. L’alliance austro-allemande, l’alliance franco-anglaise, les bons rapports entre ces deux groupes, voilà le meilleur avertissement que nous puissions donner aux brouillons et la garantie la plus solide du maintien de la paix européenne. » Mais depuis lors, l’Angleterre a fait ses réflexions, elle a changé d’objectif, elle refuse de prendre en Orient des mesures conservatoires, elle se soucie moins du salut de l’empire ottoman que de s’assurer la part du lion dans ses dépouilles. Elle abandonnera, s’il le faut, Constantinople à la Russie ; elle ne pense qu’aux Indes et, renonçant à ménager nos intérêts, c’est à l’Égypte qu’elle en a.

Quand M. de Bismarck eut acquis la certitude que l’Angleterre n’interviendrait en Bulgarie que par une politique d’intrigue, mais qu’elle était résolue à n’y point payer de sa personne, qu’elle se désintéressait plus qu’à moitié du sort d’un prince dont elle avait longtemps chauffé les ambitions et qu’elle n’était pas disposée à lui sacrifier les os d’un seul fusilier cipaye, le chancelier prit son parti de s’arranger avec la Russie, de lui rendre la main. On se rappelle que, pendant plusieurs semaines, M. de Giers erra comme une comète sur les confins de l’empire allemand, se plaignant des perpétuels obstacles que le mariage de sa fille apportait à sa rencontre avec M. de Bismarck. On se disait : « Se verront-ils ? ne se verront-ils pas ? » Ils ont fini par se