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envoyer se refaire à la Réunion ou les diriger sur la France, et ceux qui les remplaçaient contractaient la fièvre à leur tour. Ce serait bien autre chose, s’il s’agissait d’une grande expédition dans l’intérieur de l’île. Les hauts plateaux du centre sont très probablement salubres, comme tous les points élevés ; mais pour y parvenir il faut traverser la zone palustre du littoral. Il n’y a point, à Madagascar, de cours d’eau navigables qui permettent à des troupes d’arriver au centre du pays, comme au Sénégal, en Cochinchine et au Tonkin. Il n’y a pas de routes pouvant livrer passage à un corps d’armée. A l’époque où je m’y trouvais, il était défendu sous peine de mort d’en établir de la côte vers l’intérieur. Je ne sais s’il en est encore de même, mais, aujourd’hui comme autrefois, les communications ont lieu par des sentiers tracés dans les forêts, et les transports se font à des d’hommes. Ce serait donc une laborieuse entreprise et dans laquelle il ne faudrait pas s’aventurer à la légère. J’ai été comme un autre, plus qu’un autre, fanatique de la conquête de Madagascar. Cette entreprise était la chose la plus simple et la plus naturelle du monde, aux yeux de tous les officiers qui ont pris part à l’occupation de Mayotte et de Nossi-Bé. Lorsque nous étions réunis dans la paillotte du commandant particulier de la dernière de ces lies, et qu’il nous exposait son plan pour marcher sur Tananarive, par le pays des Antankares, personne ne faisait d’objection et nous étions prêts à nous mettre en route ; mais l’âge et l’expérience sont venus montrer aux jeunes enthousiastes de 1841 la difficulté de réaliser ces rêves qu’on fait quand on a la fièvre et qu’on a vingt ans.

La grande île malgache coûterait bien des millions et bien des milliers d’hommes, avant de se laisser conquérir. Les Hovas le savent bien. En 1846, lorsqu’on apprit à Ranavalo-Mantjaka que les Français s’apprêtaient à diriger contre elle une formidable expédition : « C’est bien, répondit la reine, je leur enverrai le général Tako » (c’est ainsi qu’on nomme la fièvre en langue malgache). Le général Tako est toujours là. En donnant à l’expédition des proportions suffisantes, nous parviendrions, sans nul doute, à nous emparer de Tananarive et à nous y maintenir ; mais on n’occupe pas une île grande comme la France, dont le centre est difficilement accessible et dont le littoral est inhabitable, en présence d’une population hostile, guerrière, habituée à nous résister. Conservons nos droits sur Madagascar : ils sont incontestables et nous ne devons pas souffrir qu’on les méconnaisse. Protégeons nos nationaux de tout notre pouvoir, défendons les Sakalaves, comme nous en avons pris l’engagement ; soyons fermes avec les Hovas comme avec les Anglais : c’est le moyen le plus certain de vivre en bonne intelligence avec les uns comme avec les autres, et laissons à nos