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s’engagea dans des guerres ruineuses. Bientôt les exactions, la fraude et la corruption, à tous les degrés de la hiérarchie administrative, amenèrent sa décadence et sa ruine, qui furent consommées en 1795. C’est ainsi, comme le fait observer M. Paul Leroy-Beaulieu dans ses remarquables Études historiques[1], que les Hollandais, malgré toutes leurs qualités nationales et leur esprit de colonisation, n’ont rien fondé de grand et de durable, parce qu’ils avaient donné pour base à leurs entreprises une forme économique que l’intérêt et la justice condamnent également : le monopole. J’ajouterai que le climat ne s’y prêtait pas : chacun sait que leur comptoir principal, Batavia, a été, pendant longtemps, le tombeau des Européens.

Les Anglais, qui sont entrés plus tard que les peuples précédens dans la voie des entreprises lointaines, ont été le peuple colonisateur par excellence, et cela parce qu’au lieu de se laisser guider par l’esprit d’aventure et de trafic, de courir après des bénéfices considérables et immédiats, ils ont fondé la prospérité de leurs établissemens sur le défrichement et la culture du sol. Ils ont créé des colonies agricoles, mis en rapport d’immenses territoires et fondé ainsi, de l’autre côté de l’Atlantique, un des états les plus riches et les plus puissans du monde. Grâce à cette sage direction, une nation de 50 millions d’habitans, parvenue au plus haut degré de la civilisation, s’est substituée, en moins de deux siècles, à quelques tribus d’Indiens qui parcouraient, du nord au sud, cet immense territoire, en chassant le bison et en se faisant la guerre entre elles. C’est en restant fidèles aux mêmes principes que l’Angleterre a fondé ses belles colonies du cap de Bonne-Espérance et de l’Australie. Cette différence dans la manière de coloniser tient sans doute au caractère national ; mais elle a été puissamment aidée par le choix du pays à occuper.

L’Amérique du nord est située sous les mêmes parallèles, elle a le même climat que l’Europe, et la race anglo-saxonne a pu s’y établir et s’y multiplier sans le moindre effort d’acclimatement. Il en a été de même au Cap, dans la Nouvelle-Galles du sud, la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande, qui sont situées dans la zone tempérée de l’hémisphère sud, tandis, qu’il lui a été impossible de s’implanter dans l’Inde et de s’y approprier le sol. Comme la Hollande, elle s’est bornée à y rechercher des avantages commerciaux ; comme la Hollande aussi, elle en a livré l’exploitation à une compagnie, qui, après avoir commis les mêmes fautes et les mêmes exactions, a fini de la même manière.

En résumé, les Espagnols, les Portugais et les Hollandais avaient

  1. De la Colonisation chez les peuples modernes. Paris, 1874.