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de se suffire à elle-même et de mettre en valeur le sol sur lequel elle serait venue s’établir.

Il n’y a pas, à proprement parler, d’acclimatement pour l’Européen dans les régions intertropicales. On ne s’habitue pas aux maladies qu’on y rencontre. Elles récidivent presque fatalement après une première atteinte et le temps ne fait que les aggraver. La fièvre jaune seule fait exception, parce qu’elle est au nombre des maladies qu’on n’a qu’une fois. Les gens qui l’ont eue ou qui ont traversé impunément une ou plusieurs épidémies peuvent se considérer comme à peu près indemnes, à la condition toutefois de ne pas s’éloigner trop longtemps du pays. Ils ont, sous ce rapport, une supériorité marquée sur les nouveau-venus ; mais là s’arrête leur immunité ; et, en fin de compte, la mortalité, en dehors des épidémies, va croissant à mesure que le séjour se prolonge. C’est une observation qui a été faite, sur les troupes, dans les colonies anglaises, comme dans les autres. Elle a conduit, chez nous, le département de la marine à réduire notablement le temps de service de nos soldats dans les contrées malsaines. Il n’est plus que de deux ans au Sénégal, à la Guyane et en Cochinchine. C’est le maximum de ce que nos hommes peuvent supporter, sans payer à la mort un tribut trop considérable. Dans les pays chauds mais salubres, le séjour peut se prolonger beaucoup plus longtemps ; cependant les forces s’épuisent peu à peu, et l’Européen, qui se faisait remarquer à son arrivée par son activité, son ardeur au travail, son insouciance pour la fatigue et le soleil, voit peu à peu sa vigueur décliner, son teint pâlir, ses forces décroître. Il est envahi par l’anémie des pays chauds, qui ne lui laisse plus que tout juste la force de vivre, à moins qu’il ne puisse aller se refaire sous un ciel moins brûlant. Les habitans de Bourbon et des Antilles vont chercher un refuge dans leurs montagnes ; les Anglais du Bengale, sur les pentes de l’Himalaya, ceux des côtes de Malabar et de Coromandel dans les Nilghéries ou au cap de Bonne-Espérance. Nos nationaux reviennent en France, et c’est encore le moyen le plus sûr pour rétablir leur santé. Un pareil état de faiblesse est incompatible, on le conçoit, avec tout travail un peu fatigant et à plus forte raison avec la culture du sol ; aussi est-il reconnu aujourd’hui, par les hygiénistes et les médecins de toutes les nations, que les races européennes ne sont pas propres à cultiver la terre dans les régions intertropicales et qu’elles ne peuvent s’y maintenir qu’à la condition de recevoir constamment du renfort de la mère patrie. Cette règle, ai-je besoin de le dire, ne s’applique pas aux régions montagneuses. En s’élevant en altitude, on passe par une succession de climats échelonnés dans le sens vertical, et l’impression est la même que si on marchait vers les pôles. On a même calculé que cent mètres