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plupart bien inspirés, sauf quand il fallait délier les cordons de la bourse ; alors il vote non impitoyablement. Ainsi, par trois fois, il repousse une augmentation des traitemens ; il refuse d’accorder une indemnité d’attente aux instituteurs et aux pasteurs ; il ne consent pas à augmenter le subside en faveur du Gothard et du Polytechnikum ; il ne veut pas d’un impôt sur le revenu des communes, mais je ne remarque aucune tendance niveleuse ou socialiste. En vertu du droit d’initiative, 5,000 électeurs demandent que l’état prenne en mains le commerce des blés : cela est rejeté par 30,000 non contre 16,000 oui. Dans le canton de Neuchâtel, la majorité radicale du grand-conseil avait établi l’impôt progressif : le plébiscite l’a repoussé. Récemment pourtant, dans le canton de Vaud, le référendum a approuvé une taxe sur le capital si durement progressive qu’elle fera fuir, dit-on, toutes les personnes aisées.

Ne datant pour la législation fédérale que de 1874, l’expérience de gouvernement direct tentée en Suisse est si récente qu’on ne peut encore émettre un jugement définitif. Toutefois, jusqu’à présent, on serait tenté d’y voir une confirmation de ce mot profond de Tocqueville : « L’extrême démocratie prévient les maux de la démocratie. »

Concluons. J’ai essayé de montrer que, dans les pays les plus démocratiques de notre temps, l’évolution naturelle des institutions avait apporté au gouvernement populaire certains freins, qu’on trouve aux États-Unis dans l’omnipotence des comités parlementaires, et en Suisse dans l’intervention directe du peuple souverain par la voie du plébiscite. Il reste à examiner jusqu’à quel point les autres peuples libres peuvent tirer parti de ces exemples pour améliorer leur régime politique.

Il n’y a pas encore lieu, j’imagine, de recommander le régime plébiscitaire. Nul n’y pense et, d’ailleurs, il ne pourrait être raisonnablement introduit, en certaine mesure, que chez les nations où les lumières sont aussi généralement répandues qu’en Suisse, c’est-à-dire dans certains états de l’Union américaine et dans les trois états Scandinaves. Mais je crois que nous pourrions faire au mécanisme gouvernemental des États-Unis plus d’un emprunt, notamment en ce qui concerne l’organisation des comités parlementaires, la permanence des ministères et la prépondérance du Sénat. Disons rapidement un mot de ces trois points.

Les grandes assemblées législatives ne sont partout que des meetings, incapables de faire elles-mêmes de bonnes lois, comme nous ne le voyons, hélas ! que trop souvent. Sans doute, on peut confier à un conseil d’état le soin de préparer les projets, mais toujours la chambre, jalouse de ses prérogatives, les modifie et fréquemment en