Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup d’états, tout vote ordonnant une révision doit réunir les deux tiers des voix dans les chambres, une convention spéciale doit être nommée à cet effet, et le projet de révision, arrête par cette convention, doit être soumis à l’approbation du peuple, article par article. Ce n’est donc ni une coterie, ni une faction, ni une majorité de hasard qui peut décider une révision. Il faut qu’elle soit voulue nettement et d’une façon suivie par la plus grande partie de la nation.

C’est à ces freins divers qu’est dû le succès durable du régime démocratique aux États-Unis. D’autres causes, souvent signalées, y ont contribué : d’abord un vaste territoire où la population croissante peut se répandre et trouver toujours de quoi subsister largement et même faire fortune ; ensuite le système fédéral qui modère les mouvemens populaires, en les localisant, et surtout les origines mêmes de la grande république. Les états qui se sont fédérés en 1787 étaient composés de communes où les citoyens étaient habitués à régler les affaires publiques librement et directement. Ces citoyens professaient un culte qui supprime toute autorité ecclésiastique et qui remet aux hommes eux-mêmes le gouvernement de leur conscience et de leur église, et ainsi le gouvernement populaire rencontrait chez eux des précédens et un appui là où, dans les pays catholiques, il ne trouve qu’obstacle et hostilité, — dans les croyances religieuses. L’esprit puritain, essentiellement démocratique, mais en même temps soumis à la loi, capable de se contenir, austère, moral, a été le sel qui a préparé et qui conserve les institutions populaires aux États-Unis. Dans la même partie du monde, elles ont échoué partout où cet esprit n’existait pas.

On voit, d’après ce qui précède, que le nouveau mécanisme gouvernemental des États-Unis supprime quelques-uns des inconvéniens du régime parlementaire : l’instabilité des ministères, l’influence excessive de l’esprit de parti, les résolutions improvisées, l’ingérence abusive des coteries dans l’administration, les débats confus et trop prolongés, les interpellations intempestives sur la politique extérieure, les coalitions des divers groupes de l’opposition, mais ce résultat, pour excellent qu’il soit, n’est obtenu qu’en enlevant à la chambre basse son éclat et son utilité comme instrument d’éducation politique.


II

Alors qu’aux États-Unis le gouvernement se concentre de plus en plus aux mains des comités et du président de la chambre et d’un sénat peu nombreux et très aristocratique, dans le sens grec du mot, en Suisse, au contraire, après avoir été exercé par des