Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il en provoque le redressement. La tribune est un centre d’où la vie politique rayonne jusqu’aux extrémités du pays.

Aux États-Unis, la chambre des représentans ne contribue nullement à l’éducation politique de la nation. Les partis ne se livrent point de batailles rangées pour conquérir le pouvoir ou pour faire passer un projet de loi ; donc le drame parlementaire fait complètement défaut. Les députés ne peuvent ni interpeller les ministres, ni leur adresser des questions, ni leur exposer des griefs, puisque ceux-ci n’ont pas leur entrée au congrès. Comme nous l’avons vu, il n’y a point de discours prononcés et pour divers motifs. D’abord, le temps fait défaut, quelques minutes à peine sont consacrées au débat, et le temps écoulé, le marteau du président tombe et coupe impitoyablement la parole, même au milieu d’une phrase. En second lieu, le local où la chambre siège ne se prête pas à la discussion ; il est immense, et les 324 députés y sont perdus. Comme le dit très bien M. Wilson, l’impression qu’il fait éprouver est celle du vide. En Angleterre, la petite chambre des communes ne peut pas, il s’en faut, contenir tous les députés, serrés les uns à côté des autres, sur des bancs très rapprochés ; les membres du cabinet et les chefs de l’opposition sont assis face à face, à très petite distance, comme pour faciliter les luttes oratoires ; c’est un vrai champ-clos pour les duels parlementaires. A Washington, chaque représentant a son pupitre et son fauteuil éloignés de ceux du voisin, et tout autour s’étendent de vastes espaces inoccupés. On dirait une salle de théâtre où manquent les spectateurs. Enfin, les représentans n’ont nul désir de parler longuement ; ce n’est pas l’usage et c’est parfaitement inutile. Pour satisfaire leurs électeurs, ils obtiennent l’autorisation de faire imprimer dans le Record (compte rendu officiel) de magnifiques discours qu’ils n’ont jamais prononcés, et cela suffit. Si, par extraordinaire, une lutte s’engage entre les partis, ce n’est nullement un tournoi d’éloquence. C’est un combat à coups de scrutin poussé jusqu’à l’obstructionisme : par une série de moyens qu’on appelle flibusteering, la minorité parvient à retarder le vote pendant toute une journée et même une nuit entière. Les journaux, alors, rapportent ces manœuvres en grand détail ; le public les comprend et s’en amuse, comme s’il s’agissait d’une course de chevaux ou d’une régate. On ne peut pas dire que la chambre remplisse ainsi sa fonction éducative.

Voici un autre vice encore du mécanisme gouvernemental aux États-Unis. Les comités, tout-puissans, légiférant en secret et sans responsabilité, peuvent, sans grand risque, se faire l’instrument de certains intérêts privés. Certes, ailleurs, les majorités font parfois des lois qui favorisent certaines classes ; mais, au moins, elles agissent à la pleine lumière de la publicité, et si le corps