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lord Salisbury sont reproduites et commentées. Que sait-on des faits et gestes des leaders américains ?

J’ai dit aussi qu’au défaut de publicité s’ajoutait le manque de responsabilité. C’est ici que se montre la différence complète qui existe entre le système de gouvernement en Angleterre et aux États-Unis. En Angleterre se déploie, dans toute son ampleur, dans tout son éclat, ce que l’on appelle un gouvernement de cabinet. Chaque parti a ses chefs qui le dirigent et parlent en son nom. Quand un parti conquiert la majorité, ses chefs arrivent au pouvoir et forment le ministère. Ce ministère gouverne sous la surveillance et sous l’impulsion de la chambre. Il prépare les lois, pour lesquelles il doit obtenir l’assentiment de la majorité. Ainsi, au lieu de quarante-sept comités permanens entre lesquels s’éparpille la responsabilité, comme aux États-Unis, ici il n’y a qu’un comité qui la porte tout entière. Chaque bill donne lieu à un débat acharné, prolongé, émouvant, où s’entre-choquent les orateurs des deux partis. C’est une lutte retentissante, héroïque, comme celles des héros d’Homère. Chaque groupe, concentré en face du groupe rival, met en œuvre toutes les ressources de la tactique et de l’éloquence parlementaires. C’est qu’en effet l’enjeu est énorme : les portefeuilles appartiennent aux vainqueurs. Si le cabinet subit un échec, il doit se retirer et céder la place à ses adversaires. La discussion est l’âme d’un semblable régime. C’est un combat où l’arme est la parole, un drame dont le public suit avec avidité toutes les péripéties, car de s, on issue dépend la direction de l’état. Si de mauvaises lois sont votées, si des fautes sont commises, le peuple sait à qui s’en prendre. Le cabinet et la majorité en portent la peine. Les électeurs les abandonnent.

Aux États-Unis, rien de pareil. Les chefs des partis ne se rencontrent pas en champ clos dans une bataille suprême. Ils sont disséminés dans les divers comités ; c’est là qu’ils agissent et qu’ils arrivent à leur but. Les bills proposés ne sont nullement l’œuvre de la majorité au sein du congrès, mais celle de la majorité au sein de chaque comité, qui se compose de représentans de nuances très différentes. Chaque mesure est examinée, discutée, votée en raison de sa portée intrinsèque, non pour soutenir ou renverser un ministère. Les portefeuilles, la direction des affaires publiques, ne sont jamais en cause, car ce n’est pas le congrès qui en dispose. Une loi est-elle mauvaise, le peuple ne sait qui en accuser. Il ne peut s’en prendre ni à la majorité, car elle n’y est pour rien ; ni aux démocrates ou aux républicains, car, la loi ayant été faite au sein d’un comité dont les délibérations et les résolutions sont secrètes, nul ne peut dire quel est le groupe à qui il faut l’attribuer. Les députés n’ont donc pas, en général, à tenir grand compte de la