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qui leur ont été concédées ; le président, qui est prévenu de l’arrangement conclu avec le rapporteur, leur impose aussitôt silence. Avant que l’heure soit écoulée, le rapporteur réclame la question préalable (previous question), qui n’est presque jamais repoussée par la chambre ; car, dans sa hâte d’en finir, elle est toujours prête à voter tout ce qui peut mettre un terme à la discussion. Dès lors, aucun amendement n’est plus admis. Si le rapporteur néglige cette précaution, le contrôle des débats lui échappe. Ceux-ci peuvent se prolonger assez longtemps pour que le bill ne passe pas, et alors on reprochera durement au rapporteur son impardonnable négligence.

La chambre vote ordinairement les résolutions ou les projets de loi proposés par les comités. On le voit, nulle place n’est laissée pour des discours ou pour une discussion approfondie. Quelques observations sont rapidement échangées, puis vient le vote et tout est terminé. Sauf pour ce qui concerne le revenu et son emploi, que le congrès examine toujours avec soin, tout le reste est abandonné aux comités. En théorie, leur pouvoir se borne à préparer les lois. En réalité, ils les font seuls, car la chambre les suit aveuglément. Elle siège non pour discuter à fond, mais pour voler le plus vite possible ce que les comités lui proposent.

D’autres prescriptions du règlement tendent à donner à ce mode de légiférer un caractère encore plus autocratique. Les délibérations au sein des comités sont strictement secrètes. On peut y appeler des personnes compétentes pour qu’elles fournissent des renseignemens ou donnent des avis sur la matière examinée ; mais le rapport ne peut faire aucune allusion aux opinions émises et aucune publicité ne leur est donnée. L’œuvre de la législation se fait donc à l’insu du public, et très souvent les membres mêmes de la chambre ignorent ce qui a été voté. C’est ainsi que la suspension de la frappe de l’argent a été décidée sans que le congrès eût compris ce qu’il avait voté, et c’est pour porter remède à la proscription du métal blanc, que la majorité ne voulait nullement, que les représentans Alison et Bland ont fait voter le fameux Bland bill, ordonnant la frappe mensuelle d’au moins deux millions de dollars d’argent.

Voici qui est encore plus étrange. Ces comités tout-puissans, qui légifèrent comme ils l’entendent, sans contrôle sérieux, sans responsabilité, autocratiquement, sont nommés par le président seul[1]. Ce président (speaker) n’est pas, comme celui de la chambre des

  1. Jusqu’en 1790 la chambre choisissait elle-même ses comités permanens, mais des difficultés s’étant présentées, on confia ce droit au président de la chambre. Le règlement porte : « Tous les comités seront nommés par le speaker, à moins que la chambre n’en décide autrement. » Chaque assemblée nouvellement élue peut réviser son règlement, mais cette disposition est restée immuable ; chaque parti y trouve, tour à tour, son profit.