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faut étudier de près, c’est comment ces comités se sont emparés de tout le pouvoir législatif, au point de le soustraire presque complètement au contrôle de la nation et même du congrès lui-même. Ils exercent ce pouvoir d’une façon plus autocratique que le Conseil-des-dix ou que l’empereur de Russie, car ils échappent à toute responsabilité. Rien n’est plus extraordinaire et moins connu, même en Amérique, me dit-on. On me permettra donc à ce sujet quelques détails précis et même minutieux. Je les emprunte au livre très instructif de M. Woodrow Wilson : Congressional Government et à une étude faite sur le vif par M. Hoar, sénateur du Massachusetts : the Conduct of business in Congress.

Pour faire comprendre comment fonctionne, aux États-Unis, l’étrange machine parlementaire dont aucun non-initié ne peut soupçonner les complications, M. Wilson met en scène un représentant qui, pour la première fois, vient occuper sa place au congrès. Le nouvel élu a fait sa campagne électorale sur une question qui le passionne, et, comme il a promis à ses électeurs de présenter un projet de loi sur le sujet qui les intéresse, il saisit la première occasion pour demander la parole. Le président lui répond qu’il ne peut l’obtenir, et les objurgations de ses collègues lui font comprendre qu’il a manqué à tous les usages. C’est seulement le lundi, à mesure qu’on appelle les différens états, que les membres qui les représentent peuvent proposer un bill. Il se conforme au règlement et il a introduit » son projet de loi au jour voulu. Le greffier en donne une lecture sommaire. Le député se lève pour donner quelques explications ; mais le président lui coupe de nouveau la parole et lui apprend qu’en ce moment le seul point à décider est de savoir auquel des quarante-sept comités son projet sera soumis. De vives discussions s’élèvent souvent à ce sujet, car un bill touche fréquemment à deux ou trois matières diverses, et l’avenir qui lui est réservé dépend, en grande partie, de la composition du comité auquel il est renvoyé. Aucun bill n’échappe à ce renvoi, sauf ceux qui sont proposés par les comités eux-mêmes ou ceux qui en sont dispensés par un vote spécial et à la majorité des deux tiers.

À en croire M. Wilson, un bill renvoyé à l’un des comités (committed) est ordinairement condamné à mort. En même temps que la masse innombrable de bills introduits chaque année, il disparait dans cet empire du silence dont nul ne revient. Personne ne sait au juste quand il expire, ni ce qu’il devient ; ses amis mêmes ne parviennent pas à connaître son sort. Certes les comités n’ont pas le pouvoir de condamner un projet de loi ; ils sont tenus d’en faire rapport à la chambre, et, s’ils le désapprouvent, ils peuvent seulement recommander de ne pas le voter. Mais, comme le temps fait