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semblable au régime parlementaire, tel du moins qu’il est pratiqué en Europe.

En Angleterre, au contraire, par des changemens successifs et insensibles, non des lois, mais des usages et de l’opinion, la séparation de l’exécutif et du législatif, qui existait encore à l’époque où Montesquieu en faisait la condition de tout régime libre, a cessé d’être même une fiction. Comme l’a clairement montré Bagehot, la chambre des communes a complètement accaparé le pouvoir exécutif, car elle désigne par ses votes le premier ministre, et, par conséquent, son cabinet, lequel ne peut se maintenir et gouverner que conformément à la volonté de la chambre. Les anciennes prérogatives de la couronne ne sont plus qu’un souvenir. Ainsi, il n’a plus été fait usage du veto depuis un temps immémorial. Le droit de paix et de guerre, considéré comme le privilège essentiel de la souveraineté, appartient, en réalité, aujourd’hui, au parlement, car les ministres négocient sous la surveillance inquiète et incessante de la chambre, sous le feu continu des questions et des interpellations, et au moment où finit la session, ils promettent de ne rien décider sans convoquer le parlement. Ils ne songeraient même pas un instant à conclure un traité qui serait contraire aux vœux de la majorité. Prévost-Paradol ayant dit que le souverain peut faire appel au pays par une dissolution, s’il croit que le ministère et la majorité ne représentent pas le pays, Bagehot lui répondit que chose pareille est impossible en Angleterre et très dangereuse partout. Le souverain ne conserve donc du pouvoir exécutif que le nom. Il ne dispose même plus de l’octroi des places pour agir sur les députés et sur les électeurs, car la loi règle d’une façon très stricte les conditions de nomination et d’avancement dans les diverses administrations.

Des hommes éminens, mais d’opinions très différentes, lord Salisbury, sir Henry Maine et Frédéric Harrison s’accordent à constater, non sans inquiétude, que la démocratie rencontre en Angleterre bien moins de barrières qu’aux États-Unis et même qu’en France. La France, la Fédération américaine et chacun des états confédérés ont une constitution écrite qui ne peut être modifiée que par une série de résolutions exigeant un mouvement très décidé de l’opinion. En Angleterre, la chambre des communes peut, par un vote à la simple majorité, changer toutes les lois et toutes les institutions du pays. En France et aux États-Unis existe un sénat qui représente assez complètement les forces vives du pays pour oser et pour pouvoir résister aux volontés de la chambre basse. La chambre des lords ne représente que l’intérêt de la grande propriété ; aussi ne dispose-t-elle plus guère que d’un veto suspensif. Elle n’ose pas rejeter définitivement un bill voté par la chambre basse, avec l’appui de