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conditions sociales et dans les institutions politiques, d’une façon plus complète encore qu’en France, c’est-à-dire les États-Unis et la Suisse, sont parvenues à éviter certains inconvéniens du parlementarisme, non toutefois, il est vrai, sans en faire naître d’autres.


I

Les États-Unis et la Suisse sont des républiques démocratiques, comme la France ; mais la forme de gouvernement dans ces trois pays diffère complètement. En France, la direction des affaires publiques a été presque entièrement accaparée par la chambre des députés, et, au milieu des continuels changemens de ministère, le rôle du pouvoir exécutif s’efface de plus en plus. Aux États-Unis, au contraire, l’initiative et la législation ont été enlevées peu à peu au congrès et elles sont passées aux mains des comités parlementaires désignés par le président de la chambre, de sorte qu’il s’est constitué ainsi un gouvernement très autoritaire, occulte et dont le fonctionnement échappe aux regards non-seulement des étrangers, mais même du peuple américain. En Suisse, par une évolution tout opposée, le pouvoir législatif est maintenant exercé, en dernier ressort, par le peuple lui-même au moyen de plébiscites. Ainsi, dans la confédération helvétique, la volonté populaire fait tout, aux États-Unis, rien, et en France, presque rien.

On sait que les constituans américains ont voulu appliquer rigoureusement la théorie que Montesquieu avait empruntée à l’Angleterre concernant la séparation des trois pouvoirs : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Ainsi que l’a si bien expliqué M. Boutmy, aux États-Unis, l’exécutif n’a aucune action directe sur le législatif, et, réciproquement, le législatif aucune sur l’exécutif. Comme dans les autres pays constitutionnels, le président nomme les ministres, toutefois avec le consentement du Sénat ; mais ces ministres ne sont admis dans aucune des deux assemblées et ils ne peuvent y présenter aucun projet de loi. Il est loisible au président de recommander, dans son message annuel, certaines questions à l’attention du congrès ; mais il n’a aucun moyen de l’amener à s’en occuper. En fait de législation, le seul pouvoir dont il dispose, c’est un veto qui peut être annulé par le vote d’une majorité des deux tiers. D’autre part, le corps législatif ne peut pas davantage faire agir le président et les ministres conformément à sa volonté. Il lui appartient de faire des lois, mais non de diriger la politique, car il n’a le pouvoir ni de renverser les ministres, ni de se débarrasser du président, à moins de les mettre en accusation, procédure longue et compliquée qui n’a guère chance d’aboutir, puisqu’elle n’a pu faire condamner le président Johnson. Il n’existe donc aux États-Unis rien de