Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sont pas épargnés, et le prêtre de Jupiter a bonne envie « d’envoyer promener son dieu, » qui, dit Plutus, « est jaloux de tous les gens de bien. »

Grâce aux mystères, il s’était répandu des doctrines qui faisaient envoler les âmes vertueuses vers les régions de la lumière, au voisinage des dieux, pour devenir, elles aussi, des êtres incorruptibles, impérissables. Le poète s’en moque. Les étoiles sont des riches qui sortent du banquet, une lanterne à la main, car on festoie là-haut, il s’y trouve même, tout aussi bien que sur la terre, des maisons de plaisirs faciles.

Enfin comme s’il ne voulait rien laisser dans les croyances à quoi sa fantaisie irrévérencieuse n’ait touché, il fait une cosmogonie en parodiant celle d’Hésiode et remplace les Olympiens par des oiseaux. One loi venait d’interdire aux poètes dramatiques les allusions aux hommes et aux choses du jour ; Aristophane s’était soumis ; il ne nommait plus personne, mais les dieux payaient pour les démocrates.

Si quelques pieuses parabases, précautions semblables à celles que Voltaire prendra contre la Bastille, suffisaient à garantir le poète contre l’action d’impiété, grec, il n’est pas possible que cette façon de traiter les choses du ciel devant un auditoire très intelligent n’ait pas été menaçante pour les Olympiens. Ceux-ci, tout aussi débonnaires que le Démos athénien, ne se vengèrent pourtant point par la main de leurs prêtres et des magistrats préposés à la garde du culte. Des religions bien autrement sévères ont supporté, elles aussi, de grossières bouffonneries qui amusaient leurs fidèles et ne scandalisaient personne. Il en fut longtemps de même chez les Grecs, qu’Homère avait habitués de bonne heure à l’irrévérence envers les dieux. Tout en les adorant, le dévot prenait avec eux les libertés du fils avec son père, sans que le respect et la crainte en fussent diminués. Mais ces jeux, inoffensifs aux époques de foi, deviennent singulièrement dangereux lorsque la religion cesse d’être sûre d’elle-même, et que de graves personnages l’ébranlent en jetant au milieu de la foule des idées qui font le vide dans les temples.

Alors on a le droit de demander au poète ce qu’il propose de mettre à la place de ce qu’il cherche à renverser. Il vit au milieu d’un peuple renommé pour sa sobriété, et sa morale est celle du ventre ; sa sagesse consiste à jouir, à boire sec, à manger tranquillement un filet de lièvre ou une anguille du lac Copaïs, tandis que les autres vont à la bataille ; le courage est une sottise et le brave Lamachos, qui revient blessé du combat, n’est qu’un niais. Et puis quelle sensualité épaisse, que de réalités triviales et de grossièretés repoussantes, bien qu’elles se trouvent souvent enchâssées dans