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ces belles sentences morales dont la littérature grecque abonde et qui sont comme le bon grain jeté dans le sillon de l’humanité.

D’autre part, si la vieille mythologie n’était à ses yeux qu’une matière poétique ; si la divination, les sacrifices, les entrailles brûlées sur les autels lui semblaient d’ineptes pratiques, en revanche, il avait de la divinité la haute idée que commençaient à s’en faire les grands esprits de son temps. Il croit au Logos ou à la Raison d’Héraclite, qui est le principe de toutes choses, à l’Esprit d’Anaxagore, qui sait tout et qui peut tout, et il adresse au Dieu suprême cette belle prière : « A toi qui existes par toi-même et as formé l’assemblage de tout ce qui enveloppe le tourbillon éthéré ; à toi, qui, tour à tour, es vêtu de la lumière et de la nuit ténébreuse, tandis que la troupe innombrable des astres mène autour de toi ses chœurs éternels… » Ou cette autre : « A toi, Maître souverain, sous quelque nom que tu veuilles être appelé, Zeus ou Hadès, je t’offre ces libations et ces gâteaux de pure farine. Tu tiens, entre les dieux du ciel, le sceptre de Zeus, et tu gouvernes avec Hadès le sombre royaume. Envoie la lumière de l’esprit aux mortels qui veulent savoir d’où vient le mal et quel est celui des bienheureux qu’ils ont à fléchir pour trouver la fin de leurs maux. » Voilà l’annonce d’une révolution morale. De telles paroles : négation d’un côté, affirmation de l’autre, une fois lancées, ne s’arrêtent plus.

Mais Euripide n’aurait pas bu la ciguë de Socrate. Avec la facilité des sophistes à soutenir les thèses les plus différentes, en changeant de lien il changeait de doctrine. La cour du Macédonien Archélaos, où il passa les dernières années de sa vie, n’était pas encore arrivée au doute philosophique. Dans la tragédie des Bacchantes, qu’il y composa, et qui ne fut représentée à Athènes qu’après sa mort, il fit l’éloge de la piété populaire et il condamna les témérités de la raison. « Avec les dieux, dit Tirésias, ne faisons pas les habiles. Aucune parole ne peut prévaloir sur les traditions que avons reçues de nos pères, pas même celle des subtils esprits qui croient avoir trouvé la sagesse. »

Pour l’histoire générale du théâtre, on pourrait établir deux périodes : dans la première, les mystères ou le drame religieux ; dans la seconde, le drame humain. Euripide appartient à la dernière : il a commencé le théâtre moderne en faisant monter, sous des noms anciens, ses contemporains sur la scène avec des passions de tous les temps. Un trait caractéristique de sa tragédie est la place qu’il donne aux femmes et à l’amour : c’est le nœud de tous les drames. Sa Phèdre, la victime d’Aphrodite, est l’aïeule de toutes celles qu’Éros agite, charme ou torture. Il avait dû à ses deux femmes bien des tristesses de sa vie ; il s’en est vengé dans son théâtre par de telles duretés contre leur sexe qu’on l’appela le misogyne, et pourtant plusieurs