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l’utile et l’agréable, le jardin d’agrément et le potager. A côté de superbes rosiers et d’orangers fleuris poussent des carrés de persil pour les sauces et de menthe pour le thé. Le palais s’élève à peu près au milieu du jardin. Derrière lui, des terrasses se poursuivent jusqu’à l’enceinte de la ville et à la forêt verte qui l’entoure. Là sont construits des kiosques bons à bien des usages, avec des portes mobiles qui s’ouvrent dans tous les sens, de manière à ce qu’on puisse recevoir la brise de quelque point de l’horizon qu’elle souille, avec des divans pour s’étendre, avec des pendules européennes pour rappeler la civilisation. La vue dont on jouit de ces kiosques est délicieuse : on a sous ses pieds presque tout Fès-Bali, dont les terrasses, sans cesse remplies de femmes, ont un mouvement et une coloration dont on ne se lasse pas; la ville s’étend dans la vallée, puis remonte sur la colline qui fait face, et se termine par la porte triomphale de la mosquée El-Andalous, qui, nulle part, ne produit un plus splendide effet. C’est dans ces kiosques qu’on reçoit les amis ; c’est là aussi qu’aux heures chaudes du jour, on se livre aux douceurs de la sieste ; c’est là, enfin, si l’on veut, qu’on peut goûter tous les plaisirs que comporte la vie d’Orient. Le palais du grand-vizir est magnifique, bien que d’une architecture trop moderne. On y entre par une porte en ogive extrêmement élevée, au-dessus de laquelle un grand panneau de faïences couvertes d’arabesques brille aux regards. Devant la porte, sous un kiosque ajouré, coule un jet d’eau à plusieurs branches. Le grand-vizir nous attendait debout, sous cette porte, en costume d’intérieur, sans turban, mais le front enveloppé d’un haïk transparent qui retombait sur ses épaules et l’enveloppait jusqu’aux pieds. Il tenait à la main un éventail de plumes, dont il se servait surtout pour se donner une contenance. Quand nous fûmes tous arrivés, il prit M. Féraud de la main qui restait libre et l’introduisit dans une salle monumentale, au milieu de laquelle la table était dressée. C’était une salle très longue, décorée avec le luxe le plus fastueux, sur les deux côtés de laquelle s’ouvraient deux autres petites salles dont le plancher était un peu plus élevé et qui se terminaient elles-mêmes par une sorte d’estrade surmontée d’un arc en ogive souverainement élégant et gracieux. Le grand-vizir se plaça au bord de cette estrade, fit asseoir M. Féraud à côté de lui, mais pas sur l’estrade, de manière à le dominer quelque peu, au milieu d’un groupe composé de ses principaux secrétaires et des grands dignitaires de l’empire. Tous étaient, comme le grand-vizir, vêtus avec une recherche évidente, ce qui ne les empêchait point d’ailleurs d’avoir les pieds nus. Nous entrâmes à la suite de M. Féraud, et nous nous répandîmes en curieux dans tous les sens. La salle valait la peine d’être regardée.