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ESCHYLE. — Les Sept Chefs devant Thèbes ; puis, en donnant les Perses, qui vous ont appris à vaincre. Voilà les sujets que doivent traiter les poètes. Combien ont été utiles les plus illustres d’entre eux ! Orphée nous a appris les saints mystères et l’horreur du meurtre ; Musée la guérison des maladies et les oracles ; Hésiode, les travaux de la terre et le temps des semailles et des récoltes. Et le divin Homère ne doit-il pas sa gloire immortelle aux grandes leçons qu’il a données ? N’est-ce pas de lui que nous tenons l’art de s’armer et de combattre vaillamment ? C’est à lui que j’ai emprunté les Patrocle et les Teucer au cœur de lion, pour inspirer à chaque citoyen le désir de les égaler, dès que retentira la trompette guerrière. Mais je ne leur ai pas montré une Phèdre impudique, et je ne crois pas avoir jamais mis sur la scène une femme amoureuse.


Aristophane aurait pu développer un autre exemple des sentimens virils et de l’ardent patriotisme du poète en rappelant la tragédie des Perses, jouée moins de huit années après Salamine. Les Athéniens virent alors, sur leur théâtre, Atossa, cette reine superbe qui demandait à Darius, pour la servir, des femmes de Sparte, d’Argos et d’Athènes. Maintenant que son fils Xerxès est allé chercher ses esclaves, sans nouvelles de lui et pleine d’inquiétude, elle raconte au chœur des vieillards qu’elle a vu un épervier terrible fondre sur l’aigle de la Perse et le déchirer, le chœur, qui, déjà, sait tout, lui répond que le rêve s’est réalisé : « L’Asie entière gémit, dépeuplée, dit-il. Xerxès a tout emmené, hélas ! Xerxès a tout perdu ! Chez les nations, plus d’obéissance, plus de tributs, plus de fronts prosternés dans la poussière devant la majesté souveraine ; la langue des hommes est libre comme leur pensée ! » Ces mots du poète disaient aux spectateurs que deux choses qu’ils aimaient autant que leur délivrance avaient été gagnées par leur victoire : il a forme républicaine l’avait emporté sur la royauté orientale, et la liberté de l’esprit sur son asservissement.

Enfin arrivait sur la scène Xerxès couvert de haillons, abattu par le désespoir, et comme pour les anciens la vengeance était un : fruit délicieux, les Grecs savouraient ces humiliations du grand roi, alternant avec le chœur ses gémissemens :


XERXES. — Fonds en larmes.
LE CHOEUR. — Mes yeux en sont baignés.
XERXES. — Répands à mes cris par tes cris.
LE CHOEUR. — Hélas ! hélas !
XERXES. — Que le cri de douleur remplisse la ville !
LE CHOEUR. — Des sanglots ! encore des sanglots !