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reconnaissait ! La conception est si large que les générations suivantes ont pu voir, dans le Titan, la figure du sage d’Horace s’écriant : « Que le monde brisé s’écroule, mon âme n’en tremblera pas ; » du Rédempteur des pères de l’église rachetant l’humanité par ses souffrances ; de l’Hercule, destructeur des monstres, libérateur des victimes, qui, au Caucase, brise les chaînes du fils d’Ouranos et qui, plus tard, brisera celles de l’esprit ; enfin, à lui se rattachera cette postérité lointaine qu’on entendra répéter, après son grand aïeul : « Zeus aussi mourra ! »

La parole est audacieuse, et ce trait achève bien le caractère du Titan qui a voulu défendre les droits de la volonté humaine contre la jalousie des dieux. Mais le pieux Eschyle n’a pas dû s’arrêter là. Il croyait à une force fatale, et, en même temps, à la puissance de Zeus. Les Océanides qu’il amène auprès du captif essaient de calmer son âpre colère et d’arrêter ses menaces prophétiques : « Les sages, lui disent-elles, vénèrent et craignent Adrastéia, la Nécessité ; » et quelques vers plus haut, il écrit : « Jamais les conseils de l’homme ne troubleront l’ordre harmonieux établi par la Divinité. » Aussi le tyran envieux et violent du Prométhée enchaîné devenait, dans le Prométhée délivré, le dieu pacifique qui pardonne : le monde était replacé sous un gouvernement bienveillant, celui du dieu sauveur, grec, et un effort avait été fait par le poète pour concilier les deux idées contradictoires dont la Grèce avait vécu : la liberté morale et l’empire inéluctable de la Moira.

L’Orestie, la plus grande œuvre poétique de la Grèce après l’Iliade, a un autre caractère. C’est la plus tragique des trilogies du théâtre grec : à une des scènes, l’auditoire tout entier trembla et des femmes s’évanouirent ; mais elle est aussi la plus morale, car elle expose magnifiquement la doctrine de l’expiation, c’est-à-dire du rachat de la faute ou du crime involontaire et, par conséquent, l’avènement de la justice véritable. Elle raconte les catastrophes qui s’étaient succédé dans l’effroyable famille des Atrides, sur laquelle, depuis un premier forfait, plane Alastor, le démon des vengeances divines : Agamemnon, fils d’Atrée et neveu de Thyeste, immole sa fille pour s’assurer une victoire ; Clytemnestre, afin d’être libre dans l’adultère, égorge son époux ; Oreste tue sa mère et le complice dont elle avait dirigé le bras : « Trois fois, dit le chœur, la tempête a rugi sur ce palais… Quand donc Até arrêtera-t-elle ses vengeances ? » Par l’intervention du dieu de Delphes, qui aime l’équité, et de la vierge du Parthénon, qui sait découvrir les vrais motifs des actions humaines, la déesse fatale sera pour un moment désarmée. Le ciel, jusque-là si sombre, s’éclaire ; les sentimens s’adoucissent. Devant le tribunal de l’Aréopage, que Minerve vient de fonder et où les Furies poursuivent celui dont les oracles de Zeus ont fait