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mystères et élevé, à ce qu’il semble, dans les pieuses doctrines de l’institut pythagoricien, il eut cette constante préoccupation des choses divines qui a fait de lui, en un temps où le doute commençait, non pas le plus orthodoxe, mais le plus religieux des poètes de la Grèce. Des événemens extraordinaires au milieu desquels la vie le plaça, son esprit reçut une secousse profonde, et sa seconde religion, peut-être la première, fut l’amour de la Grèce et d’Athènes. Ses exploits à Marathon, dans l’Artémision et à Salamine l’attestent, mieux encore ses drames des Perses et des Euménides : l’un, chant de triomphe des Grecs victorieux du grand empire oriental ; l’autre, glorification d’Athènes, de son esprit de justice et de ses institutions.

A vingt-cinq ans, il débuta dans le concours pour les fêtes de Bacchus, fut battu par Chœrilos et Pratinas et ne gagna qu’en 484 sa première victoire, que beaucoup d’autres suivirent. On dit que sa défaite, en 468, par Sophocle, et une accusation d’impiété pour de prétendues révélations des mystères d’Eleusis, le décidèrent à se retirer en Sicile. Il y alla, en effet, plusieurs fois, appelé par Hiéron de Syracuse, « qui tenait le sceptre de la justice dans l’Ile aux grands troupeaux. » Pindare, en parlant ainsi, oublie les cruautés du tyran, mais ce grand poète n’avait pas le cœur à la hauteur de son talent. Il avait glorifié la trahison de Thèbes se tenant à l’écart de la guerre médique, et il célébrait les bienfaits de cette paix honteuse, tandis que Léonidas mourait aux Thermopyles et que les Athéniens combattaient sur la mer salaminienne. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’à « la table hospitalière d’Hiéron où retentissaient de si douces mélodies, » il n’ait pas entendu les cris des victimes. Rien-ne nous dit qu’Eschyle ait été un flatteur du roi ; nous aimerions mieux cependant que, comme Sophocle, il fût toujours resté dans Athènes.

Eschyle disait de ses drames qu’ils n’étaient que des débris du grand festin d’Homère : il avait raison. Ses tragédies, véritables fragmens d’épopée, ont un sombre éclat et une majesté mystérieuse ; une divinité redoutable, le Destin, les traverse, silencieuse, invisible, suivie de Némésis, la Jalousie divine, qui ne permet à nulle grandeur humaine de dépasser le niveau qu’elle a fixé, et toutes deux remplissent l’âme des spectateurs de poignantes émotions et de superstitieuses terreurs. La lutte contre cette puissance par qui l’homme est enveloppé de mille liens, que les plus forts ne réussissent pas toujours à briser, suscite de fiers courages et de superbes dédains qui donnent aux personnages du poète une taille surhumaine. Quelle scène grandiose entre les envoyés de Zeus et Prométhée, le héros qui, par son énergie contre le sort contraire et sa haine de l’injustice, représentait une humanité où, avec quelque complaisance, l’Athènes de Marathon et de Salamine se