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dont on n’ose pas prononcer le nom… « Il ne se faisait pas trop d’illusion, même après Waterloo.

Le lion redressé pour un instant d’un si terrible sursaut avait été dur à vaincre et à abattre. Il était cette fois abattu pour ne plus se relever. Il restait à dégager les conséquences de l’événement par la diplomatie qui intervient toujours après le choc des armes. La grande bataille n’était pas seulement le désastre d’un empereur et d’un empire, elle préparait aussi fatalement une aggravation de la paix signée une année auparavant. « Les puissances alliées, dit M. de Metternich, voulurent donner une leçon à la France. » La leçon, c’était une diminution nouvelle de frontières, la spoliation des musées respectés par la première invasion, une contribution de guerre et une occupation temporaire, a afin d’assurer l’ordre à l’intérieur et d’affermir en France le trône des anciens rois autant que cela était possible avec l’appui des forces étrangères… » C’est la paix du 20 novembre 1815 substituée à la paix du 30 mai 1814 et destinée à se rattacher à l’œuvre du congrès de Vienne demeurant après Waterloo le code de l’ordre européen. L’empereur Alexandre, ramené avec les autres souverains à Paris et livré plus que jamais aux ardeurs d’un mysticisme vague sous l’influence de Mme de Krudener, méditait de compléter cette paix définitive, cet ordre nouveau par un acte mémorable qui depuis a retenti souvent dans le monde sous le nom de « sainte-alliance. » Il avait préparé et rédigé lui-même son projet dans le mystère, sans consulter ses conseillers ; il avait tenu à ne communiquer d’abord son secret qu’aux souverains. C’était une pensée toute personnelle à l’empereur Alexandre, une sorte de diplomatie de l’hallucination, qui, à parler vrai, séduisait peu l’Autriche et la Prusse. «… Lisez cet écrit, disait l’empereur François à M. de Metternich en lui remettant le projet du tsar, — examinez-le et vous me direz votre opinion. Quant à moi, je ne le goûte nullement, et les idées que j’y ai trouvées me font plutôt faire des réflexions très sérieuses. » M. de Metternich, avec son esprit à la fois fin et positif, se sentait en garde contre la phraséologie humanitaire et religieuse de l’écrit et du projet du tsar. Il ne voyait pas là « la matière d’un traité à conclure entre les souverains ; » il pressentait surtout les interprétations passionnées et hostiles auxquelles n’échapperait pas cette œuvre assez vaine de diplomatie sentimentale. Le roi Frédéric-Guillaume de Prusse n’en pensait pas mieux. On ne pouvait cependant tout refuser à l’empereur Alexandre, et M. de Metternich se trouvait chargé par l’empereur François et par le roi de Prusse de traiter avec le tsar pour obtenir de lui tout au moins des atténuations ou des suppressions. On cédait à demi, sans conviction, par égard pour un souverain chimérique, et c’est ainsi que naissait ce