Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conquête préférée, 3 millions 1/2 de Polonais du duché de Varsovie. On bataillait encore pour des détails, la crise aiguë semblait passée lorsque tout à coup la foudroyante nouvelle du débarquement de Napoléon au golfe Juan venait retentir à Vienne, surprendre le congrès dans ces derniers débats et rapprocher encore une fois dans un effort suprême, plus intime que jamais, ces alliés qui avaient été si près de se brouiller dans le partage du butin. Épilogue tragique et inattendu de la grande comédie des ambitions !


V

C’est le 7 mars 1815, au matin, que M. de Metternich, brusquement réveillé par le zèle indiscret d’un serviteur, recevait d’Italie une dépêche qu’il ne voulait même pas ouvrir tout d’abord pour ne pas se déranger, — et qui annonçait que « Napoléon avait disparu de l’île d’Elbe ! » En un instant, il était auprès de l’empereur François, qui accueillait la nouvelle avec une gravité tranquille et résolue : « Napoléon, disait-il, semble vouloir courir les aventures, c’est son affaire ; la nôtre est d’assurer au monde le repos qu’il a troublé pendant de si longues années. Allez sans retard trouver l’empereur de Russie et le roi de Prusse et dites-leur que je suis prêt à donner l’ordre à mon armée de reprendre le chemin de la France. » Du même pas le ministre autrichien se rendait auprès de l’empereur Alexandre, qui se montrait aussitôt prêt à l’action. C’était la première fois depuis trois mois que M. de Metternich se présentait chez le tsar, et celui-ci terminait un rapide entretien en ajoutant : « Nous avons encore à vider un différend personnel. Nous sommes chrétiens, notre sainte loi nous commande de pardonner les offenses. Embrassons-nous et que tout soit oublié. » Les petites brouilles disparaissaient dans le grand événement ! Le roi de Prusse, auprès de qui le chancelier d’état se rendait en quittant le tsar, était dans les mêmes dispositions. A peine rentré chez lui, M. de Metternich voyait arriver les ministres étrangers, et, avant tous, M. de Talleyrand, qui gardait une certaine impassibilité à la lecture de la dépêche, avec qui il avait ce court et singulier dialogue : « Savez-vous, disait M. de Talleyrand, où va Napoléon ? — Le rapport n’en dit rien. — Il débarquera sur quelque côte d’Italie et se jettera en Suisse. — Il ira droit à Paris… » Pendant ces premières heures de la matinée, tout avait changé de face à Vienne sous le coup de la prodigieuse nouvelle. La guerre était déjà décidée entre les souverains. De toutes parts, les aides-de-camp étaient expédiés pour changer la marche des armées. Il n’y avait plus dans les conseils, dans les états-majors, qu’un mot d’ordre unique et invariable : « Tout est à recommencer ! »