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singulièrement animé, renouait avec le plénipotentiaire français la conversation interrompue quelques jours auparavant et revenait de lui-même aux idées qu’ils avaient échangées. M. de Talleyrand n’était pas peu surpris de voir lord Castlereagh arriver dès le lendemain chez lui avec ces idées formulées en articles et un projet tout préparé. « Il demanda, ajoute M. de Talleyrand, que nous lussions son projet avec attention, M. de Metternich et moi. Je pris heure dans la soirée, et, après avoir fait quelques légers changemens, nous l’avons adopté sous forme de convention… Nous l’avons signé cette nuit… » C’était le traité secret du 3 janvier 1815, par lequel l’Angleterre, l’Autriche et la France se liaient pour une action commune, même une action militaire, en admettant dans l’alliance la Bavière, le Hanovre et les Pays-Bas.

L’acte était nouveau autant que hardi moins d’une année après l’entrée des alliés à Paris, et M. de Talleyrand, qui l’avait préparé, en parlait avec quelque fierté en écrivant au roi : « … Maintenant, Sire, la coalition est dissoute et elle l’est pour toujours. Non-seulement la France n’est plus isolée en Europe, mais Votre Majesté a déjà un système fédératif tel que cinquante ans de négociations ne sembleraient pas pouvoir parvenir à le lui donner. Elle marche de concert avec deux des plus grandes puissances, trois états de second ordre et bientôt tous les états qui suivent d’autres principes et d’autres maximes que les principes et les maximes révolutionnaires. Elle sera véritablement le chef et l’âme de cette union… » M. de Talleyrand s’exagérait peut-être un peu la portée positive de l’acte qu’il avait eu l’art de suggérer. Le traité du 3 janvier restait, dans tous les cas, un sérieux succès moral pour la France, qui, après avoir été quelques mois auparavant une puissance isolée et suspecte, retrouvait maintenant sa place dans une alliance formée pour défendre, même par les armes, l’équilibre de l’Europe. M. de Metternich, après avoir longtemps joué au plus fin avec M. de Talleyrand, avait accepté la combinaison : en liant la France, il s’assurait à tout événement une puissante réserve, et, de plus, par le secret qui devait être gardé, il restait à l’abri des récriminations qu’aurait pu lui attirer en Allemagne une alliance avec « l’ennemi héréditaire. » L’empereur Alexandre ne connaissait pas naturellement le pacte qui venait d’être signé ; il sentait bientôt néanmoins, à l’attitude de l’Angleterre, de l’Autriche et de la France, qu’il devait y avoir de la part de ces puissances quelque résolution concertée. Il avait cru subjuguer ou intimider, il ne voulait pas aller aux dernières extrémités. Il ne tardait pas à faire des concessions, à soutenir moins vivement la Prusse dans ses prétentions sur la Saxe. Il consentait à des cessions de territoire pour laisser vivre la Saxe et désintéresser la Prusse, en gardant toujours pour lui-même, il est vrai, sa