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fatuité, ses histoires intimes, amusait le roi Louis XVIII de ses récits malicieux et de ses portraits de M. de Metternich, a qui, en se piquant de donner l’impulsion à tout, la reçoit lui-même sans s’en douter et jouit des intrigues qu’il croit mener, se laisse tromper comme un enfant… » — « … Celui qui est à la tête des affaires en Autriche et qui a la prétention de régler celles de l’Europe, dit-il un autre jour, regarde comme la marque la plus certaine de la supériorité du génie une légèreté qu’il porte jusqu’au ridicule… »

Entre ces deux hommes qui se retrouvaient à Vienne après s’être connus, après avoir noué amitié à la cour de Napoléon, il y avait une rivalité mondaine avec la rivalité politique. M. de Metternich avait une frivolité prétentieuse dans les grandes affaires. Il ne faut pourtant rien exagérer. Il n’était peut-être pas aussi léger qu’on le disait ou, du moins, cette légèreté n’excluait pas la duplicité et les calculs d’un homme qui, ayant à traiter avec la vanité d’Alexandre, avec l’ambition prussienne, avec l’Angleterre, avec la France elle-même, éludait, rusait avec tout le monde pour garder dans ses mains les fils enchevêtrés du grand imbroglio européen. Au fond, à travers les séductions qui l’entraînaient et les intrigues où il se perdait quelquefois, il avait son idée fixe, son fil conducteur, qu’il retrouvait dans les momens difficiles : il ne perdait pas de vue le double intérêt de l’Autriche en Italie et en Allemagne.


IV

Deux affaires surtout mettent en jeu les rivalités, les caractères, la diplomatie des hommes dans ce congrès où les intérêts des peuples s’agitent entre deux fêtes. La première est cette singulière affaire de Naples, où le chef de la monarchie restaurée en France réclamait, sans plus de retard, le rétablissement du roi Ferdinand de Bourbon dans les Deux-Siciles, tandis que l’Autriche temporisait, paraissant soutenir encore Murat, qui, seul, dans la catastrophe napoléonienne, avait sauvé provisoirement sa couronne. Le duel était vif et serré. Dès la première réunion des plénipotentiaires, M. de Talleyrand avait ouvert pour ainsi dire le feu ; comme on prononçait le nom du roi de Naples, il avait dit d’un ton négligent et hautain : « De quel roi de Naples parle-t-on ? Nous ne connaissons point l’homme dont il est question… » On avait évité de lui répondre. Il ne poursuivait pas moins sa campagne, soutenu et aiguillonné par le roi Louis XVIII, qui mettait sa fierté et voyait aussi son intérêt dans une restauration qui « ajoutait à la puissance de la France, » qui avait surtout pour effet de bannir des trônes