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carrousels aux costumes éclatans, les questions les plus graves s’agitaient, les ambitions s’entre-croisaient, les hommes, les politiques, princes et ministres jouaient un autre genre de comédie.

Où en étaient réellement les puissances qui étaient venues à Vienne pour régler les affaires du monde, pour remettre la paix partout, après avoir relégué le grand trouble-fête dans une petite île de la Méditerranée ? Elles étaient sans doute sorties de la guerre également victorieuses. Elles gardaient entre elles l’apparence de la plus intime cordialité, et même, après le traité du 30 mai, elles affectaient de maintenir en face de la France pacifiée, réconciliée, ramenée à ses anciennes limites, ce qu’on appelait la « quadruple alliance, » la coalition particulière de l’Angleterre, de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse. Elles avaient renouvelé leur pacte sans s’expliquer. En réalité, elles étaient profondément divisées par les ambitions, par les convoitises, par les jalousies promptes à renaître. L’empereur Alexandre, qui, avant de se rendre au congrès, avait eu le temps d’aller chercher des ovations à Londres, puis à Saint-Pétersbourg et à Varsovie, était arrivé à Vienne avec l’idée fixe d’imposer sa volonté, qui n’était nullement désintéressée. Il couvrait ses ambitions du voile des protestations libérales, des déclarations humanitaires. Il se croyait le bienfaiteur des peuples, la « lumière du siècle, » comme le disait plaisamment dans ses lettres le roi Louis XVIII. Il avait, par le fait, jeté son dévolu sur la Pologne, sur l’ancien grand-duché de Varsovie, dont il prétendait faire un royaume lié à son empire ; il voulait tout au moins aller jusqu’à la Vistule : c’était sa part de butin dans la grande distribution des territoires. La Prusse, de son côté, avec une âpreté de convoitise que rien ne décourageait, prétendait avoir la Saxe, la Saxe tout entière, par la dépossession du vieux roi, et elle passait la Pologne à l’empereur Alexandre pour avoir l’appui de la Russie dans l’annexion des provinces saxonnes. L’Angleterre, sans s’être encore prononcée, n’était pas loin de favoriser ces prétentions, tout au moins de sacrifier le roi de Saxe à la Prusse. L’Autriche, les jeux fixés sur l’Italie, où elle rentrait en souveraine, sur l’organisation de l’Allemagne nouvelle, où elle entendait maintenir son ascendant, ne se hâtait pas de dire son dernier mot. Autour des principales puissances, les petites cours s’agitaient, jalouses de leurs droits et de leurs intérêts, inquiètes des agrandissemens de la Prusse, cherchant de tous côtés un appui. Tout était contraint dans les rapports de ceux qui se disaient des alliés, et, par un étrange retour des choses, la puissance qui avait la position la plus aisée, la plus libre, était celle qu’on venait de vaincre, qui se trouvait en ce moment représentée à Vienne par l’homme le mieux fait pour déguiser les embarras de la défaite, pour traiter avec les princes : j’ai nommé M. de Talleyrand, grand