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ambitions, M. de Metternich prétendait leur échapper ou tout au moins les contenir. Il tenait en profonde défiance ce mouvement révolutionnaire qui commençait à agiter l’Allemagne, qui lui apparaissait comme une menace pour l’avenir, le patriotisme qui « arborait les couleurs teutoniques, » qui s’était introduit dans les conseils du tsar, avec les Stein, les Gneisenau, à la fin de la campagne de 1812, et que la Russie encourageait par ses proclamations. Il se défiait tout autant de l’empereur Alexandre, pour son libéralisme chimérique, pour ses connivences révolutionnaires aussi bien que pour ses ambitions ; il n’avait aucune envie d’échanger le danger de la prépondérance française pour le danger de la prépondérance russe. Il jouait son jeu dans cette situation nouvelle, tantôt résistant au tsar comme dans le choix du généralissime, tantôt cédant à Alexandre et abandonnant sur ses instances au baron de Stein l’administration des pays reconquis en Allemagne. Maintenir l’alliance par le sentiment d’un intérêt commun, adoucir ou voiler les rivalités, se servir des Russes contre les Prussiens ou des Prussiens contre les Russes, et au besoin de l’Angleterre contre les uns et les autres, avoir aussi l’œil sur la France, mesurer la politique de la coalition au progrès des armées, c’était l’art de M. de Metternich. Il avait pris, dès le premier jour, ses précautions, au moins les précautions possibles contre toutes les surprises. Il avait fait décider que les souverains et les chefs de leurs cabinets suivraient les armées pour être toujours prêts aux graves résolutions : c’était pour lui un moyen de garder son influence sur les événemens, de ne pas rester à la merci des conflits d’états-majors et de l’imprévu. Il avait de plus fait adopter une sorte de programme méthodique des vastes opérations qui s’engageaient. On devait d’abord s’avancer de toutes parts, à rangs pressés, sur le Rhin ; c’était la première partie de la guerre. Une fois sur le Rhin, si la paix qu’on proposerait ou qu’on prétendrait imposer à Napoléon était impossible, on se porterait a au cœur de la France, sur les hauteurs des Vosges et des Ardennes. » Ce serait une seconde campagne. Au-delà, si on n’était pas arrêté, on déciderait par une troisième campagne, par un dernier effort, « du sort futur de la France. » Il traçait ainsi d’avance les étapes successives de l’action ; il s’étudiait à mettre quelque ordre dans ce drame des revanches européennes qui allait se dérouler à travers une série de péripéties militaires et diplomatiques, où il allait lui-même avoir à déployer toutes les ressources d’un esprit déjà fait à se jouer avec toutes les puissances comme avec toutes les difficultés.

Un homme à l’imagination passionnée et mobile, à la plume brillante et souvent éloquente, asservi au plaisir, enthousiaste et désabusé, un peu diplomate, un peu aventurier, mais qui a eu son rôle