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on semblait d’accord pour éviter ou tout au moins ajourner l’éclat de la rupture définitive. Napoléon, radouci tout à coup, acceptait, presque sans discuter, la médiation de l’Autriche, dont la veille encore il se montrait offensé ; M. de Metternich, dans l’intérêt de la négociation, prenait sur lui de se prêter à une prolongation de l’armistice jusqu’au 10 août, sans consulter même les Russes et les Prussiens. Que s’était-il donc passé ? Ce n’était malheureusement pas une victoire de l’esprit de sagesse et de paix ; c’était un calcul de la part du négociateur autrichien, aussi bien que de la part de l’empereur. Le secret de Napoléon, c’est qu’après les pertes qu’il avait essuyées à Lutzen et Bautzen, devant l’attitude nouvelle de l’Autriche, il sentait le besoin de gagner quelques semaines pour reconstituer et grossir son armée. M. de Metternich, de son côté, il l’avoue, avait eu le temps d’expédier un courrier à Prague, au prince Schwartzenberg, pour lui demander où il en était de l’organisation de son armée, quelle prolongation d’armistice il jugerait nécessaire pour compléter son ordre de bataille, et le prince Schwartzenberg avait répondu qu’il lui faudrait vingt jours. De là un rapprochement d’un instant conduisant par une prolongation d’armistice à ce congrès de Prague qui n’était guère qu’une duperie de plus entre ces grands joueurs de la politique.

Le congrès de Prague n’est, en effet, qu’un nom dans l’histoire, il n’a été jamais une réalité, et, assurément, Napoléon ne faisait rien pour en préparer le succès, même la réunion, pour faciliter une paix que ses amis les plus dévoués le pressaient d’accepter, que son plénipotentiaire à Prague, M. de Caulaincourt, lui conseillait d’un accent de patriotisme pathétique. Napoléon mettait son orgueil à ne pas céder, à disputer jusqu’à la dernière minute. Il faut tout dire d’ailleurs : eût-il écouté de sages conseillers de paix comme M. de Caulaincourt, M. de Narbonne, eût-il été plus facile, plus sincère, il n’eût probablement pas mieux réussi, parce que tout était déjà compromis, parce que cette négociation n’était qu’une feinte. M. de Metternich n’était pas plus sincère que lui, avec ses conditions auxquelles il savait que Napoléon ne souscrirait jamais et qui, eussent-elles été acceptées, n’auraient rien résolu. Il pouvait se donner encore l’air d’un médiateur affairé et impatient de réunir le congrès ; il disait avec une apparence de franchise à M. de Narbonne en le chargeant de presser l’empereur : « Aujourd’hui nous sommes encore libres. Je vous donne ma parole et celle de mon souverain, que nous n’avons d’engagemens avec personne ; mais je vous donne aussi ma parole que, le 10 août à minuit, — dernier terme fixé pour les négociations, — nous en aurons avec tout le monde, excepté avec vous… » En réalité, c’était fait. L’Autriche n’était pas seulement occupée de ses préparatifs militaires uniquement tournés