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il peut croire son avenir dynastique assuré ! Il règne à Hambourg et à Rome, sur le Zuyderzée et aux bords de l’Adriatique, sur l’Allemagne soumise et sur l’Italie subordonnée. On sent, il est vrai, qu’il a dépassé la limite des grandeurs possibles, que toute cette puissance est à la merci d’un revers ou d’un accident, que ce système de conquêtes indéfinies ne peut durer. On le sent, mais on ne voit pas comment tout cela peut finir. Les résistances, les hostilités se taisent devant cette prodigieuse fortune. On croit même, ou l’on feint de croire au succès de la grande partie qui se prépare contre la Russie, et, lorsqu’au mois de mai 1812 Napoléon, accompagné de Marie-Louise et de sa cour, arrive à Dresde, première étape de sa marche sur le Niémen, il est entouré de princes de toute sorte accourus pour assister à une des plus éclatantes représentations du siècle.

A la cour du bon roi de Saxe, fier de son glorieux hôte, se pressent l’empereur et l’impératrice d’Autriche, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III lui-même, les petits princes allemands qui tous sont des alliés, des alliés par peur, par calcul ou par intérêt, dans la croisade près de s’ouvrir. M. de Metternich, qui est du voyage, n’est pas le moins empressé, quoi qu’il en dise, et, pour un instant, il reprend ses conversations familières de Paris avec celui dont personne n’ose décliner l’alliance, ni prévoir la défaite. Il ne quitte Dresde que pour aller au plus vite à Prague préparer une réception triomphale à Marie-Louise retournant par la Bohême en France, tandis que Napoléon court vers l’inconnu, vers son destin ! — Huit ans plus tard, M. de Metternich a pu écrire dans son Journal, daté encore de Prague : « Les époques mémorables où j’ai visité cette ville se sont suivies bien rapidement. En 1812, j’ai passé deux mois ici avec l’impératrice des Français, et, en 1813, j’ai porté à son mari le coup mortel. » — Il résumait après coup, en quelques mots, son histoire dans cette crise de 1812-1813.


I

C’est, en effet, tout son rôle dans cette année tragique, et, à vrai dire, rien n’est plus curieux que le jeu de ce politique épiant les événemens, prêt à changer de camp à mesure que la fortune change de face, attendant que le lion soit blessé pour marcher sur lui, pour lui porter, comme il le dit, « le coup mortel. » L’art de M. de Metternich est de prendre position dès le début sans se livrer, sans sortir d’une savante ambiguïté, de ne s’engager tout au moins qu’à demi, en se réservant mentalement la liberté de se dégager selon l’occasion.

Allié de Napoléon, il l’était sans nul doute, il paraissait l’être au