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adressé à l’empereur Alexandre III un télégramme par lequel il a imploré sa protection et s’est mis à la merci du tsar. L’empereur Alexandre III a répondu par un télégramme hautain et irrité qui ne cachait pas au jeune prince le déplaisir qu’avait causé son retour et laissait percer la menace. Que faire dans ces conditions ? Le prince Alexandre n’a pas voulu exposer son pays aux hasards d’une crise sans issue, aux ressentimens déclarés de la Russie, et le pouvoir que lui avait arraché un instant un coup d’état désavoué par le peuple bulgare, il n’a point hésité à le résigner de son propre mouvement, en mettant même, il faut le dire, dans son abdication une certaine dignité émouvante. Il est parti, après avoir pourvu au gouvernement du pays, après avoir fait ses adieux à son armée, à la population, sans déguiser d’ailleurs qu’il cédait à plus fort que lui ; — mais ici ce n’est plus seulement un incident bulgare : la question prend une face nouvelle, un intérêt et un caractère européens par les circonstances mêmes dans lesquelles ces changemens s’accomplissent.

Jamais peut-être, en effet, la Russie n’a plus rudement fait sentir sa main dans les affaires de cette partie de l’Orient et n’a mieux montré sa volonté inflexible de maintenir sa prépotence dans les Balkans. La plus simple velléité d’indépendance de la part du prince Alexandre de Battenberg a été dès l’origine tenue pour suspecte à Pétersbourg, est devenue un titre à l’animadversion du tsar et, si la Russie n’a pas paru ostensiblement dans le coup d’état nocturne du 21 août, elle a bien montré qu’elle entendait en recueillir le profit. Elle l’a approuvé en réprouvant le retour du prince rappelé par le peuple : c’est au moins d’un bon exemple pour tous les révolutionnaires qui ont des princes à déposséder. La Russie a montré qu’elle était résolue à poursuivre à tout prix, par tous les moyens, sa politique de prépondérance en Orient, et, si elle s’est aussi audacieusement dévoilée, c’est qu’elle s’y est trouvée évidemment autorisée par sa position dans la triple alliance, c’est qu’elle s’est crue tout au moins assez libre pour aller droit à son but dans les Balkans, comme elle s’est sentie assez libre, il y a peu de temps, pour supprimer la franchise du port de Batoum. C’est probablement ce qui a été l’objet principal de ces entrevues et conférences qui se sont succédé dernièrement à Gastein, à Franzensbad. Il est certain que M. de Bismarck a joué un rôle particulièrement décisif dans ces récentes péripéties, qu’il n’est pas allé pour rien auprès de M. de Giers à Franzensbad. M. de Bismarck, par une de ces évolutions hardies qui lui sont familières, est allé au plus pressé ; il semble avoir tout sacrifié pour satisfaire la Russie et pour la lier à sa propre politique en comblant ses ambitions. Il a pris son parti lestement de la Bulgarie et il ne s’est pas décidé lui-même sans avoir tout fait pour obtenir de l’Autriche une certaine connivence passive, temporaire. Le chancelier de Berlin peut avoir réussi pour le moment dans ses cal-