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tance, le caprice jaloux de dominateurs éphémères. Oh parle toujours de liberté et on ne sait plus ce que c’est que la liberté vraie et sérieuse qui disparaît dans le torrent des libertés anarchiques. On répète sans cesse qu’on veut faire un gouvernement, car enfin, pour vivre sous tous ces régimes, il faut bien un gouvernement, et l’on semble avoir perdu le sens des lois de tout gouvernement. On finit par tomber dans ce quelque chose qui n’a plus de nom, qui n’est que la confusion de tous les pouvoirs, l’asservissement des intérêts publics aux cupidités, aux passions de parti, l’exploitation organisée du pays au profit des maîtres du jour acharnés à prolonger par tous les moyens leur règne équivoque.

Il y a une constitution qu’on invoque quand on croit en avoir besoin et qu’on ne respecte que lorsqu’elle ne gêne pas. Il y a des ministères qui sont censés gouverner et qui ne gouvernent pas ou qui ne gouvernement qu’à la condition de subir la perpétuelle humiliation d’être les complices, les serviteurs complaisans des factions hardies qui les dominent. Il y a des assemblées dont la mission est définie, limitée par toutes les règles constitutionnelles et qui n’ont d’autre occupation que de sortir de leur rôle, d’usurper les droits du gouvernement, de se servir de leur influence pour satisfaire les intérêts, les rancunes des électeurs, sans compter les intérêts et les ambitions des élus eux-mêmes. Nous sommes en train de nous faire un régime singulier où il y a une prétendue majorité républicaine qui règne, une minorité radicale qui gouverne ou décide dans l’occasion et des ministères qui obéissent pour ne pas se brouiller avec des alliés de qui ils dépendent. C’est un des phénomènes de l’anarchie nouvelle ; c’est là plaie des confusions ou des usurpations parlementaires, de « l’ingérence des députés dans l’administration, » justement saisie et décrite dans une brochure récemment mise au jour par une « Société des publications libérales, » qui s’est donné l’utile mission d’éclairer le pays sur les abus de la république telle que la font les républicains. La vérité est qu’à l’heure où nous sommes tous les pouvoirs réguliers sont à peu près subordonnés, il n’y a plus que les députés et un peu les sénateurs républicains qui ont une autorité souveraine sur la France. Ils se font donner à eux-mêmes, sans s’inquiéter de la loi, des missions de résidens-généraux ou d’ambassadeurs et ils gardent les thèmes faveurs pour leurs cliens. Dans leurs régions, ils ont un service de délation contre les employés, grands ou petits, et ils prétendent être les maîtres de leurs fonctionnaires, à commencer par les préfets, au sommet de la hiérarchie ; ils ont l’œil et la main partout, dans l’administration comme dans les finances, dans la justice comme dans l’instruction publique. Ils dirigent les épurations. Ils ont obtenu en peu d’années la révocation ou le déplacement de 2,536 juges de paix sur 2,941, de 1,763 magistrats du parquet sur 2,148 : tout cela pour satisfaire des vengeances