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le secret, des conditions dans lesquelles il y était associé. Mais, maintenant, les amis du gouvernement français n’ajoutaient plus foi à ses assertions : «Ils savent, disait l’un d’eux, que le général n’a point à se louer de son voyage et que, quoiqu’il veuille faire croire, il est sans mission, sans commandement et sans crédit. » Bourgoing lui-même était revenu sur ses premières appréciations. Rendant compte à Talleyrand d’un dîner chez un armateur de Hambourg, auquel avait été invité Dumouriez, il racontait : « Je ne l’ai ni fui ni recherché. Mais il m’a adressé plusieurs fois k parole sur des objets indifférens. Il cherchait à causer plus à fond ; mais il n’en a pas trouvé l’occasion. Il montre une lettre du tsar l’engageant à devenir le Monk de Louis XVIII. Il cherche à se donner une grande importance. Il ne peut y faire croire. Après avoir caressé tous les partis, il n’inspire confiance à aucun. Il ne sera plus que le confident inactif des stériles vœux de Paul Ier pour Louis XVIII. » Et Bourgoing avait raison, car, ainsi que le lui avait dit Bellegarde, qui arrivait de Saint-Pétersbourg, « la Russie était guérie pour longtemps de se mêler des affaires de l’Occident. »

Cependant telle était toujours l’assurance de Dumouriez qu’après avoir essayé de faire croire qu’il aurait le commandement de l’insurrection du Midi, il occupa pendant quelque temps encore les cercles hambourgeois de sa personne et de ses propos. Il admirait le plan militaire qui se déroulait en Allemagne, ce plan qui détruisait le laborieux édifice de ses longs calculs, et allait forcer la cour de Vienne à conclure la paix ; il convenait que toute la gloire en revenait à Bonaparte. Puis, tout à coup, il disparut. Il faisait agir à Londres pour être autorisé à passer en Angleterre. En attendant de pouvoir partir, il allait vivre à Ottensen, pris soudainement du désir de se faire oublier. Peut-être les victoires de la France lui inspiraient-elles le regret d’avoir obéi aux suggestions criminelles qui l’avaient armé contre sa patrie. Mais, s’il n’était pas trop tard pour se repentir, il n’était plus temps de reconquérir son ancienne gloire à jamais souillée. Il ne restait d’autre ressource à son activité que de s’enfoncer plus profondément dans la trahison.

Disons, pour en finir avec lui, qu’en 1801, du fond de sa retraite, il envoyait encore à Saint-Pétersbourg des sollicitations et des conseils. Le 11 février, répondant à l’une de ses lettres, Rostopchine lui disait : «J’y ai bien reconnu le talent actif qui s’impatiente dans l’oisiveté. Mais, les circonstances actuelles ne manqueront pas de vous présenter des occasions qui vous dédommageront avec usure du temps perdu. Après la lecture de votre lettre, l’empereur mon maître m’a ordonné de vous faire savoir que vous n’avez qu’à prendre un peu de patience pour voir s’effectuer des projets auxquels vous