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Par ce côté, par d’autres encore, Dumouriez avait pris ses mesures pour dissimuler l’avortement de son voyage. Même auprès des membres du corps diplomatique accrédités en Russie, il usait de mensonge. Trompé par ses confidences, l’envoyé danois adressait à son gouvernement une note évidemment destinée à accréditer l’opinion que la mission du général avait réussi : « Hier, Dumouriez a pris congé de l’empereur. Il en a reçu l’accueil le plus favorable. Il part chargé d’une mission importante. Il est à la veille de rendre à sa patrie un service bien plus éclatant que tous ceux qu’il aurait pu lui rendre par ses succès militaires. »

C’est après s’être fait précéder par ces renseignemens que Dumouriez se mit en route le 19 avril[1] avec d’Angély, qui lui servait de secrétaire, et un gentilhomme français, M. D’Agoult, rencontré parmi les émigrés autorisés à résider à Saint-Pétersbourg. Son intention n’étant pas de repasser par Mitau, il s’embarqua pour Lubeck. Mais le navire qui le portait ayant été arrêté par les glaces à Riga, il profita de cet arrêt pour aller offrir ses hommages à Louis XVIII. Comme à son premier voyage, il reçut un flatteur accueil. Toutefois, le roi lui confessa qu’il comptait de moins en moins sur un prochain réveil de sa fortune. Ce que Dumouriez lui racontait des dispositions de Paul Ier n’était pas pour ranimer ses espérances. D’autre part, depuis la première visite de Dumouriez, au commencement de janvier, les événemens malheureux n’avaient cessé de se succéder. Les armées russes avaient quitté l’Italie, la Suisse, la Hollande, pour regagner leurs foyers. La guerre, recommencée entre la France et les puissances restées dans la coalition, s’annonçant comme devant être rapide et décisive, n’empêchait pas la croyance à une paix prochaine de se répandre. Les Vendéens, épuisés, hors d’état de combattre plus longtemps, venaient de faire leur soumission au gouvernement consulaire ; les troupes employées contre eux avaient été expédiées aux frontières d’Italie, de Suisse et d’Allemagne pour y grossir les forces massées contre les alliés. Tout manquait donc à la fois à la cause royale. Le langage même de l’Angleterre et de l’Autriche faisait craindre que leur victoire, — à supposer qu’elles fussent victorieuses, — ne profitât pas aux Bourbons.

Dans ce renversement des multiples combinaisons préparées contre la république, c’est le plan concerté avec Willot à l’effet de soulever le Midi, que Louis XVIII considérait maintenant comme sa

  1. Le vicomte de Caraman, envoyé du roi, était arrivé le 17. Il est très vraisemblable que les deux personnages se rencontrèrent ; mais nous ne trouvons dans nos documens aucune trace de leur entrevue.