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souverain. Ce dernier le fit approcher, et là eut lieu leur première entrevue. Paul Ier témoigna d’une extrême bienveillance. Il parla à Dumouriez de manière à lui prouver qu’il n’ignorait rien de sa carrière passée. Ils s’entretinrent de l’état de la France. Le tsar ne cacha pas l’admiration qu’il éprouvait pour le premier consul, et, comme son interlocuteur mettait en doute qu’un gouvernement durable pût sortir du coup d’état de brumaire dans un pays où la révolution avait détruit le pouvoir personnel, il répondit : « l’autorité réunie dans une seule personne constitue un gouvernement. » Le mot choqua Dumouriez. Il manifesta son sentiment avec une vivacité qui arracha un sourire à l’empereur.

Du reste, celui-ci s’empressa d’ajouter qu’à ses yeux Louis XVIII, roi de France, était le seul dépositaire légitime de cette autorité; que pour ce motif, il voulait aider à le rétablir sur son trône. Il expliqua-brièvement les causes qui l’avaient décidé à rompre avec la coalition. Mais il n’entendait pas abandonner la cause des Bourbons. Il reconnaissait que Dumouriez était à même de la servir. Il lui dit, lui répéta même à plusieurs reprises : « Il faut que vous soyez le Monk de la France. » Comme pour lui prouver qu’il était disposé à le seconder, il lui dit encore : « Je ne vous perdrai jamais de vue. Partout vous jouirez de ma protection. » Dumouriez jugea le moment opportun pour exposer le plan danois. Le tsar écouta ses développemens avec intérêt. Il lui demanda de les résumer dans une note manuscrite et l’autorisa, l’exécution du plan étant subordonnée à une entente avec l’Angleterre, à en entretenir lord Withworth, ambassadeur britannique à sa cour, et l’envoyé danois, le général comte de Blum[1].

En quittant l’empereur, Dumouriez était radieux. Il se croyait sûr du succès. Il prépara aussitôt le travail que l’empereur désirait recevoir. Il fut d’ailleurs fort surpris quand, au bout de deux jours, Rostopchine lui fit savoir que l’empereur attendait la note promise. Le 10 mars, Dumouriez l’envoya au ministre. C’était un exposé succinct du projet du prince de Hesse. Après en avoir raconté les origines et comment, malgré diverses négociations avec Londres, ce projet était tombé dans l’abandon, le général s’attachait à démontrer que l’heure était propice pour le reprendre et qu’il serait facile d’en assurer l’exécution pour le mois de juillet, « Le Danemark n’étant qu’une puissance secondaire, disait-il en finissant, ne peut que recevoir une pareille proposition et non pas la faire lui-même. Rempli de confiance dans le caractère moral et dans la droiture politique de l’empereur, il sera nécessairement entraîné ou arrêté dans cette

  1. Ce diplomate occupait encore le poste de Russie en 1856.