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je n’en reste pas moins l’ami et l’allié fidèle du roi d’Angleterre. Je prévois d’avance combien le contenu de cette lettre fera de la peine à Votre Altesse Sérénissime. Mais, en servant la cause des souverains, je ne dois pas perdre de vue la sûreté et le bonheur de l’empire que je gouverne, dont je saurai rendre compte à Dieu et à tous mes sujets. »

Les dispositions que révélait cette lettre n’étaient pas faites pour laisser croire que le tsar donnerait suite aux ouvertures de Dumouriez. S’il retirait à la coalition son influence et l’appui de ses armes, ce n’était pas, on devait le supposer, pour favoriser des conspirations ou des intrigues, ni pour abaisser son intraitable orgueil jusqu’à servir par des moyens cachés, presque honteux, la cause qu’il abandonnait avec éclat. Sa décision constituait donc pour cette cause un désastre non moins redoutable que celui des armées impériales. Elle enlevait au roi son appui le plus sûr, le plus loyal, le plus désintéressé. Elle donnait carrière aux ambitions des autres alliés. Elle rendait à brève échéance la paix inévitable. Il est au moins étonnant que Louis XVIII, en ce moment critique, alors que tout semblait irréparablement compromis, ait puisé dans ses appréhensions mêmes l’énergie d’une suprême tentative en faveur de Dumouriez. Il la fit cependant. Une nouvelle lettre de lui alla porter à Paul Ier la preuve de ses indestructibles espérances ; et ce qui n’est pas moins fait pour surprendre, c’est qu’à cette démarche, au succès de laquelle le roi ne croyait peut-être pas, Paul fit droit aussitôt. Il donna l’ordre de mander Dumouriez à Saint-Pétersbourg et d’en avertir Louis XVIII.

Cet avis arriva à Mitau en même temps que la nouvelle du coup d’état de brumaire, qui suivit à une distance de quelques jours celle du retour de Bonaparte. Dans la détresse où les événemens de Paris, succédant à la défaite de la coalition, jetaient la maison de Bourbon et ses partisans, la décision du tsar pouvait seule conjurer les effets de leur abattement. Elle rendit courage à Louis XVIII. On le devine dans la lettre touchante à force d’être naïve qui manifestait sa reconnaissance : « l’attention que Votre Majesté Impériale veut bien donner au projet du général Dumouriez réveille mes espérances, puisque ce projet ouvre un nouveau champ aux généreuses intentions de Votre Majesté Impériale, et ce qui vient de se passer à Paris ne fait que me donner une nouvelle ardeur de me montrer digne de la discrétion qui nous est commune. Je laisse à la sagesse de Votre Majesté à juger s’il ne serait pas à propos de mettre son frère d’armes Louis XVIII en présence du consul Bonaparte. » (25 novembre.) — Paul Ier n’exauça pas plus la prière nouvelle de son « frère et cousin » qu’il n’avait exaucé les précédentes sur le