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Il avait donné, il devait donner encore trop de preuves de son indifférence en ce qui touchait les intérêts de la dynastie de Louis XVIII pour qu’il fût politique de compter sur son appui. Dumouriez raisonnait avec plus de sagesse quand il détournait Willot de s’adresser à la Russie. Quoique animé de sentimens plus bienveillans pour le roi légitime que l’Angleterre et l’Autriche, le tsar ne croyait pas plus que ces deux puissances à l’opportunité d’une intervention des royalistes avant la victoire des armées alliées. A son avis, Louis XVIII devait entrer en France derrière ces armées et non à leur tête. Pénétré de cette conviction, il résistait aux instantes sollicitations du roi, qui rêvait d’imiter Henri IV et de conquérir son royaume. Pour les mêmes causes, et bien qu’il eût été averti des dispositions et des desseins de Dumouriez, il ne se pressait pas d’en tirer parti. Il était encore moins disposé à permettre au général Willot de rejoindre le corps de Souvarof. Son silence en fournissait la preuve à Louis XVIII, dont la lettre en faveur de Willot restait sans réponse.

Dumouriez n’en persistait pas moins dans l’espoir d’être traité favorablement. Il activait ses démarches. Il avait supplié Louis XVIII d’être auprès de Paul Ier l’interprète de son désir. Il s’était fait présenter par Thauvenay au comte de Mourawief, ministre de Russie à Hambourg. Il s’efforçait d’intéresser ce diplomate à sa cause. Il le voyait fréquemment, l’entretenait de ses projets. Pour gagner sa confiance, il lui communiquait les renseignemens que, par Fonbrune ou par d’Angély, il recevait sur ce qui se passait chez Reinhart, le ministre de la république française. Il employait encore d’autres influences. Mme de Barruel-Beauvert, qui vivait avec lui, écrivait à son frère Rivarol pour obtenir qu’il contribuât « à tirer Dumouriez de son obscurité[1]. » Mais cette activité se déployait sans profit. A la fin d’octobre, Dumouriez recevait de Saint-Priest une nouvelle lettre datée du 6 du même mois, en réponse aux siennes, et qu’il est indispensable de citer parce qu’elle met en lumière le véritable caractère des relations de Louis XVIII avec Paul Ier.

« Il faut voir notre inconcevable position pour la comprendre, écrivait Saint-Priest, et je ne pourrais sûrement vous dépeindre à quel point nous sommes entravés ici. Mais croyez sur ma parole qu’on ne nous communique de Pétersbourg que des vues générales, encore avec parcimonie, parce qu’il ne nous est permis d’avoir per- sonne sur les lieux pour y parler de nos affaires[2], et que tout

  1. La démarche eut peu de succès : « l’opinion a tué Dumouriez lorsqu’il a quitté la France, répondit Rivarol. Dites-lui donc en ami de faire le mort. C’est le seul rôle qu’il lui convienne de jouer. Plus il écrira qu’il vit, plus on s’obstinera à le croire mort. » (Voir l’intéressant volume de M. de Lescure sur Rivarol.)
  2. C’était avant que M. de Caraman eût été accrédité à Saint-Pétersbourg comme représentant du roi de France.