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l‘exercice, comme M. Ribot n’avait pu s’empêcher de l’appréhender, ce fut dès le début de l’année que le ministre des finances se trouva aux abois. Le 15 mars 1883, le compte courant du trésor à la Banque était descendu à 108 millions, c’est-à-dire au chiffre le plus bas auquel il eût été réduit depuis longues années. Ce même compte était, le 16 mars 1882, de 343 millions, la différence d’une année à l’autre était donc de 235 millions. Bien plus, on ne tarda pas à découvrir que le compte du trésor n’avait été maintenu, même à un chiffre aussi faible, qu’à l’aide d’une mesure qui donnait prise à la critique. Le ministre des finances, de sa propre autorité, avait négocié un emprunt de 120 millions à la Banque de France. La négociation avait été tenue secrète; mais interrogé à ce sujet, dans la séance de la chambre du 19 mars, le ministre confessa la réalité du fait, en se retranchant derrière la latitude habituellement laissée à son département pour assurer le service financier de l’état. On pouvait demander si un emprunt de cette importance n’excédait pas le caractère d’une simple opération de trésorerie, et pourquoi le ministre n’avait pas eu recours à des bons du trésor ; mais le fait devait un surcroît de gravité à la façon dont les choses s’étaient passées. La création de 1,200 millions en rentes amortissables avait eu pour objet d’éteindre toute la dette du trésor envers les déposans des caisses d’épargne, dette représentée en partie par 350 millions d’obligations sexennaires, remises antérieurement à la caisse des dépôts et consignations pour garantir les premiers fonds appliqués aux besoins du trésor. La caisse des dépôts avait restitué ces obligations, en échange des rentes amortissables qui lui étaient délivrées : au lieu d’annuler la totalité de ces obligations, le ministre des finances en avait négocié pour 120 millions à la Banque : il avait donc, par le fait, maintenu en circulation des valeurs que le parlement devait croire éteintes ; il avait, sans autorisation, accru la dette flottante de 120 millions.

Le budget ordinaire de 1884 avait été présenté quelques jours auparavant, avec un dérisoire excédent de recettes de 250,000 francs; encore ce résultat n’était-il obtenu qu’en renouvelant 70 millions d’obligations et en inscrivant en recette 35 millions de remboursemens, attendus des compagnies d’Orléans, de l’Est et du Midi, et fort problématiques. M. Tirard avait abandonné le système d’évaluations adopté par M. Say; mais, sans revenir à l’ancienne méthode, ni suivre aucune règle, en déterminant arbitrairement les sources de revenu desquelles on pouvait attendre un accroissement de recettes et celles dont le produit était présumé stationnaire. L’exposé des motifs faisait prévoir un emprunt de 313 millions, limité à ce chiffre par l’impossibilité d’assurer le service d’un emprunt plus considérable. Le produit de cet emprunt ne pouvait suffire à défrayer le