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laissât le public manquer de cigares ou de poudre de chasse faute d’argent pour acheter du tabac ou du salpêtre. La commission du budget prévoyait bien qu’il en serait de ces achats indispensables comme du paiement des arrérages de la dette flottante, et qu’il faudrait y pourvoir par des crédits extraordinaires. C’était donc pour obtenir un équilibre fictif qu’elle s’était abstenue d’inscrire dans la loi de finances des dépenses inévitables et prévues. Quelle confiance pouvait mériter l’œuvre sortie de ses mains ?

Le rapporteur du budget de 1885 au sénat, M. Dauphin, malgré sa bénignité ordinaire, ne put s’empêcher de faire écho aux critiques de M. Léon Say : il fit ressortir le caractère fictif ou dérisoire de mille petites économies destinées à provoquer l’ouverture de crédits supplémentaires ou à aboutir à des accroissemens ultérieurs de dépenses. Il constata que les réductions opérées sur le ministère de la marine avaient été obtenues aux dépens des crédits qui avaient pour objet de reconstituer les approvisionnemens des magasins à poudre, de compléter l’artillerie de la flotte, d’achever la construction des forts commencés ; qu’on avait refusé tout crédit pour l’accroissement du nombre des torpilleurs, sous prétexte que l’expérience n’a pas encore prononcé sur la valeur de ce genre de bâtimens, et que le crédit des nouvelles constructions navales avait été ramené à une somme « à peine suffisante pour tenir la France au niveau des autres puissances maritimes. » Résumant en quelques mots les impressions de la commission sénatoriale, M. Dauphin exprimait une opinion conforme à celle de M. Léon Say : « Votre commission, disait-il, fait des réserves en ce qui concerne une troisième catégorie d’économies sur la réalité desquelles il est permis de concevoir des doutes. Le présent rapport vous les indiquera lorsqu’il examinera séparément les budgets de dépenses de chacun des ministères, notamment ceux de la guerre et de la marine. Il est à craindre que la dépense ne reparaisse, dans le cours de l’exercice, sous la forme de crédits supplémentaires. La certitude existe même pour plusieurs. »

Quel était le but de ces détestables pratiques? Pourquoi essayait-on de dissimuler au parlement et au pays le chiffre réel des dépenses de l’état? c’est que l’année 1885 ramenait les élections générales et qu’on ne voulait point que la nation, appelée à juger ses mandataires, connût toute l’étendue du désordre dans lequel les finances sont tombées. On a de ce fait un témoignage irrécusable, celui d’un membre de la commission du budget. Voici ce qu’a écrit et signé M. Henry Maret, qui avait vainement demandé à ses collègues qu’on présentât les chiffres d’une façon moins contestable et qu’on indiquât plus clairement la situation financière du pays : «Dans cette commission du budget, où nous nous débattions pour repousser