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face à toutes les dépenses imprévues ou insuffisamment dotées qui donnent lieu aujourd’hui à l’interminable kyrielle des crédits supplémentaires, complémentaires, et extraordinaires. Il se pouvait que toutes les dépenses inscrites au budget ne fussent pas effectuées; mais il était impossible que l’ensemble des crédits accordés par le parlement fût dépassé. Par conséquent, rien ne ressemblait moins à ce que nous voyons aujourd’hui. Il était réservé au régime actuel, par une innovation qui lui appartient exclusivement, de constituer, parallèlement au budget ordinaire, un budget extraordinaire alimenté en totalité par des emprunts, et encore par des emprunts laissés à l’arbitraire du ministre des finances, négociés et contractés sous le manteau de la cheminée, sans publicité ni concurrence.

On a donc grandement raison de poursuivre la suppression définitive du budget extraordinaire et, tant qu’on n’aura pas obtenu cette utile réforme, il sera impossible de rétablir l’ordre et la clarté dans les finances et d’arriver à un équilibre véritable entre les recettes et les dépenses. En effet, les facilités qu’elle donne pour développer les dépenses ne sont pas le seul inconvénient de cette institution. On s’était gardé de définir avec quelque précision ce qui était extraordinaire et ce qui ne l’était pas : lorsque les embarras financiers commencèrent, on contracta très vite l’habitude d’inscrire au budget extraordinaire les dépenses qui pouvaient donner matière à discussion ou pour lesquelles on ne pouvait plus trouver d’argent dans le budget ordinaire, démesurément gonflé. Il arriva, en 1881, que huit ministères sur onze puisèrent simultanément au budget extraordinaire pour des dépenses qui auraient dû figurer au budget ordinaire, mais qu’on n’aurait pu y inscrire sans en détruire irrémédiablement l’équilibre. Sur ce point, aucune contestation n’est possible. Lors de son dernier passage au ministère des finances, M. Léon Say, éclairé par l’expérience, a signalé, avec l’autorité que lui donnait sa position officielle, une série de dépenses, s’élevant ensemble à plus de 50 millions, qui étaient indûment inscrites au budget extraordinaire et couvertes par l’emprunt, alors qu’elles avaient tous les caractères de dépenses ordinaires et qu’elles auraient dû être payées sur le produit de l’impôt. M. Ribot, tour à tour président ou rapporteur de la commission du budget, a fait également, au sujet de cet abus, les déclarations les plus catégoriques.

Encore si l’on s’en était tenu à cet expédient et s’il avait suffi d’additionner les deux budgets pour connaître exactement le chiffre total des dépenses d’un exercice! mais on a recouru à des procédés de dissimulation plus condamnables encore. On a vu les commissions du budget, pour obtenir ou conserver entre les recettes et les dépenses un équilibre purement fictif, rayer des dépenses qu’elles savaient