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fièrement revendiqué la paternité devant la chambre, le 8 avril dernier. Il s’agissait alors d’exécuter, en dix années, des travaux dont l’ensemble exigerait 4 milliards. M. Léon Say, qui par la après M. de Freycinet, affirma sa confiance absolue dans le développement rapide de la richesse nationale et se fit fort, sans nuire à l’essor du commerce et de l’industrie et sans raréfier les capitaux au point de faire hausser l’intérêt de l’argent, de prélever tous les ans, sur les épargnes du pays, les 300 ou 400 millions dont son collègue aurait besoin. Quelques jours plus tard, des discours identiques étaient prononcés à Dunkerque par les deux ministres.

Il était impossible d’entreprendre l’exécution d’un plan aussi gigantesque avec les seules ressources du budget : la nation eût succombé sous un tel fardeau. Il fallut donc créer un cadre et un instrument nouveaux. Le cadre fut le budget extraordinaire, destiné à être alimenté exclusivement par des emprunts annuels : l’instrument devait être un fonds calqué sur le type adopté par les compagnies de chemins de fer pour leurs emprunts, la rente amortissable, pour laquelle on espérait la popularité et le placement facile qu’ont rencontrés, dès le début, les obligations de chemins de fer. Dans l’intervalle nécessaire pour l’écoulement des obligations amortissables, on se réservait de recourir à la dette flottante en se servant des fonds des caisses d’épargne, que la caisse des dépôts et consignations centralise et qu’elle verse en compte courant au trésor. M. Léon Say évaluait à 300 millions l’excédent annuel des versemens sur les retraits : c’était là un aliment tout trouvé pour les besoins du budget extraordinaire. On devait donc emprunter discrètement, et comme à la sourdine, ces fonds qui ne pouvaient demeurer sans emploi et qui ne feraient point faute au public : on comptait consolider, tous les deux ou trois ans, ces emprunts temporaires au moyen d’un emprunt ferme dont le service serait facilement assuré grâce à l’accroissement constant des recettes publiques.

Le système consistait donc à anticiper sans cesse sur le développement des ressources : c’était l’emprunt indéfini, reposant sur le progrès indéfini des recettes. Ce n’était point là de la bonne finance, parce que l’industrie privée donne aux capitaux qu’on laisse dans le pays un emploi plus utile et plus productif que ne peut faire l’état, et parce que de hautes raisons de prévoyance et de prudence commandent de ménager les forces contributives de la France; mais, enfin, on pouvait continuer quelque temps dans cette voie sans trop d’inconvéniens, à une seule condition, toutefois : c’est que les accroissemens de recettes seraient réservés exclusivement pour la consolidation et le service de ces emprunts continuels, et qu’ils ne seraient pas dévorés à l’avance. Une seconde condition,