Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antique semble perdue pour jamais ; cela, faute d’une écriture suffisante. La théorie musicale des chrétiens, d’abord identique à celle des Grecs, s’en est peu à peu écartée en apparence; elle est restée Fa même quant au fond. Leur production musicale est presque toute entre nos mains ; mais son histoire a besoin d’être rappelée au moins brièvement.

L’œuvre musicale des chrétiens remonte en grande partie aux six ou sept premiers siècles de notre ère. Les mélodies de cette période ont pu d’abord être transmises par la tradition, soit dans les catacombes, soit dans les écoles chrétiennes, soit dans l’enseignement choral, à partir de Constantin. Mais les païens employaient alors une notation en caractères grecs; pourquoi les chrétiens se seraient-ils volontairement privés de ses avantages? À cette première écriture succéda celle des neumes, dont j’ai dit tout à l’heure quelques mots. Ces neumes étaient une écriture très imparfaite, intelligible seulement pour ceux qui savaient l’air ; elle servait concurremment avec la tradition et pouvait empêcher le chanteur de faire fausse route. Ces deux moyens combinés suffisaient pour la conservation intégrale des mélodies, que d’ailleurs la force conservatrice inhérente aux religions empêchait de se dénaturer. A l’époque où saint Grégoire opéra sa réforme théorique et composa ses grandes collections, l’usage des neumes était en vigueur et les mélodies liturgiques étaient à peu près intactes.

C’est l’écriture en neumes qui fut remplacée par des portées, d’abord d’une, puis de deux et enfin de quatre lignes parallèles. Cette nouvelle écriture, qui date seulement de quatre siècles après saint Grégoire, se produisit à une époque où, dans le peuple, la langue latine avait presque partout fait place aux langues modernes. En outre, elle paraît n’avoir usé d’abord que d’une seule espèce de notes, consistant en petits carrés ou points, sans indication des durées, des mesures, ni des rythmes, élémens déjà presque oubliés depuis l’époque de saint Grégoire, ou pour le maintien desquels on comptait sur la tradition. Bientôt on introduisit l’usage des losanges et des notes à queue; les losanges désignent uniquement les syllabes très brèves, les lettres de liaison, comme i dans dominus ; ils ne marquent ni la mesure ni le rythme ; ils sont propres à dérouter le musicien en introduisant dans la lecture une sorte de cadence entièrement fausse. Les plus anciens manuscrits avaient des notes carrées ; quand les queues y marquaient l’accent tonique, elles étaient pour le chantre d’une utilité incontestable, en lui donnant l’élément fondamental du rythme. D’autres fois elles marquaient seulement le commencement et la fin des mots. L’écriture et le chant offrirent enfin une désespérante uniformité.