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Sapho ou de quelque autre poète antique, et celles qui procédaient, non par strophes, mais par couplets. Les premières avaient été, chez les Grecs, accompagnées de chant et de danse ; elles avaient représenté l’union intime de trois arts également populaires, la poésie, la musique et la chorégraphie. En passant à Rome, la strophe s’était séparée de la danse et le plus souvent de la musique ; elle n’avait plus été pour les poètes romains qu’un cadre poétique, comme elle l’est en général pour nos poètes modernes. Dans les assemblées chrétiennes, la strophe retrouva la musique, mais non la danse. On sait à quelle occasion : saint Ambroise, auteur d’un grand nombre d’hymnes, en introduisit l’usage dans son église de Milan pour désennuyer les fidèles qui s’y étaient réfugiés pendant la persécution arienne de l’impératrice Justine. Les hymnes furent donc faites pour le peuple des fidèles et pour être exécutées par lui. Ce fait explique la prédominance des hymnes en couplets sur les hymnes en strophes. La strophe gréco-latine est un rythme savant, assez compliqué, d’une exécution parfois difficile; elle n’est véritablement complète que si la danse l’accompagne. Un couplet se compose ordinairement de quatre petits vers ; chaque vers est de huit syllabes allant par groupes de deux ; la phrase est faite de telle sorte que les accens portent sur les syllabes de deux en deux, comme dans l’hymne bien connue, O luce qui mortalibus, où la voix appuie sur les syllabes lu, qui, ta et bus. Il résulte de cette structure du vers des notes alternativement brèves et longues, c’est-à-dire un rythme ternaire, une mesure à trois temps. Ce mouvement est fortement marqué, de sorte que la masse des fidèles le reproduisait sans peine et se sentait pour ainsi dire entraînée par lui. On peut se rendre compte de l’effet produit par le chant des hymnes, car il y a une hymne chantée à vêpres tous les dimanches de l’année.

Plus tard, à partir du IXe siècle, l’usage des couplets fut, sous le nom de proses, introduit aussi dans l’office du matin. Mais, à cette époque, la langue latine n’était plus parlée; les poètes scolastiques commirent à profusion des fautes d’accent et de quantité. En musique, on avait tout confondu : les anciens modes avaient échangé leurs noms : on appelait dorien le mode de qui avait été le phrygien, et ainsi des autres. Par haine du chromatisme, on proscrivait le si de toute mélodie, sauf à l’y laisser rentrer par une porte dérobée. Cet état des esprits donna naissance à une abondante production de proses, où la vulgarité mélodique rivalise avec l’incorrection grammaticale. Mais le rythme ternaire ayant été donné à l’hymne depuis l’époque de saint Ambroise, les proses, en général, l’adoptèrent ; presque toutes se disent à trois temps et sont chantées par le peuple.

Les mélodies savantes ne pouvaient convenir aux grandes assemblées ;