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à l’accent, il donnait certainement au débit musical cette variété, ce mouvement qui est un des caractères de la vie. Au XIIIe siècle, on observait encore, théoriquement du moins, l’accentuation dans certains morceaux ; elle est notée çà et là dans les livres de chant publiés par la librairie Lecoffre, d’après des manuscrits de cette époque. Les syllabes accentuées étaient représentées par des notes plus prolongées que les autres ; il en résultait une sorte de rythme irrégulier, mais puissant, qu’un père de l’église compare aux flots de la mer. Le peuple ne rencontrait aucune difficulté à le suivre, puisque ce rythme ne faisait que reproduire la prononciation des mots et des phrases dans le langage ordinaire. Au cours du moyen âge, la perte de l’accentuation a fait disparaître le rythme ; les psalmodies se composent aujourd’hui de notes égales, quelle que soit dans le texte la valeur des syllabes.

Remarquons, en passant, que cette uniformité se rencontre aussi dans l’enseignement laïque. Les élèves de nos écoles et leurs maîtres prononcent le latin sans marquer par aucune nuance l’accent dans les mots ni la quantité des syllabes ; c’est une manière barbare de traiter une langue ; on appelle le latin une langue morte ; elle est morte parce qu’on la tue tous les jours depuis cinq cents ans. Et pourtant, un grand nombre de phrases latines se lisent dans la Divine Comédie, s’y fondent avec les vers italiens et n’y font pas mauvaise figure. Les Italiens prononcent le latin d’une façon qui, sans aucun doute, se rapproche beaucoup de la prononciation antique ; ils sentent et ils nous font sentir que leur langue est presque romaine. Si, rompant cette croûte de glace dont la récitation liturgique a couvert le corps de la langue latine, nous lui rendions seulement l’accent et la quantité dans notre enseignement, nos élèves, à la fin de leurs classes, se trouveraient savoir en grande partie l’italien et l’espagnol, langues parfaitement vivantes et presque latines. En outre, leur oreille s’étant accoutumée de bonne heure à des intonations musicales, ils seraient tout près de comprendre les belles mélodies cachées sous le plain-chant. Mais je ne pense pas que cette réforme se réalise chez nous : nous avons trop le sentiment des besoins matériels de notre société pour tenir grand compte d’améliorations purement intellectuelles, si faciles qu’elles soient; on obtiendrait plus aisément la suppression totale du latin, langue sacrée de « l’ennemi. »

On n’a commencé à chanter des hymnes chrétiennes qu’à l’époque de saint Ambroise. Il y avait bientôt quatre siècles que les fidèles psalmodiaient sur des textes en prose. Les hymnes étaient en vers ; c’était donc l’introduction dans la liturgie des formes de la poésie latine, formes empruntées jadis à la poésie grecque. Il y eut deux sortes d’hymnes : celles qui reproduisaient les strophes d’Alcée, de