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du chant de l’église, avec lequel elle était encore confondue au Xie siècle. Abailard était vanté pour les airs de romance qu’il composait et chantait lui-même ; mais Abailard, qui faisait l’amour en latin, chantait sûrement comme au chœur et nullement comme on chante aujourd’hui dans nos salons et nos concerts ; ses petites compositions devaient ressembler à l’Adoro te supplex de saint Thomas d’Aquin, venu un siècle plus tard. Nous n’avons pas à faire ici l’histoire de la musique moderne. Disons seulement qu’au temps de François Ier, elle produisait déjà de grandes œuvres, témoin la Bataille de Marignan, de Jannequin, exécutée l’année même de ce fait d’armes. Luther rompait à la fois avec la hiérarchie romaine et la musique de l’église ; cette rupture donnait naissance au choral. Goudimel, qui périt en 1572 à la Saint-Barthélémy de Lyon, fut, dit-on, le maître de Palestrina. Depuis lors, c’est-à-dire depuis trois siècles, quel merveilleux épanouissement musical en France, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Angleterre !

Le système de la musique savante a produit ces grandes conceptions harmoniques qui sont l’œuvre propre de notre civilisation. L’antiquité n’y pourrait rien réclamer : l’imitation de l’antique a une part notable à revendiquer dans nos œuvres de sculpture et de peinture et dans nos constructions ; nos œuvres de musique sont originales et nous appartiennent en totalité. Rien de ce qui nous est venu des anciens Grecs et des Romains ne ressemble à nos opéras, à nos oratorios, à nos symphonies. Les genres secondaires nous appartiennent aussi, même la romance, le plus petit et non le moins fécond d’entre eux. Il y a donc eu durant trois ou quatre siècles, dans presque toute l’Europe, une énorme production musicale, qui, aujourd’hui même, malgré l’épuisement apparent des genres exploités, ne semble pas avoir atteint sa limite. Elle s’est manifestée dans tout le domaine de la pensée : le système musical sur lequel elle repose a tellement subjugué les esprits qu’il a pénétré jusque dans l’église. Je ne parle pas seulement des compositions vraiment religieuses de Palestrina, d’Allegri, de Vittoria, qui sont de la musique moderne ; mais quel est le grand musicien, même le musicien médiocre, qui n’ait composé au moins une messe? Et l’église latine n’a-t-elle pas accepté cette influence, ne l’encourage-t-elle point par ses cantiques sur des airs de romance et par ses exécutions un peu profanes quelquefois?

Quoi qu’il en soit, ce qui caractérise avant tout la musique moderne, c’est l’emploi à peu près exclusif du majeur et du mineur. Tout le monde sait ce qu’on entend par les mots mode ou ton majeur ; c’est celui où la première et la troisième note de la gamme sont séparées par un intervalle de deux tons, comme ut-mi dans