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différente. Quelques mots que nous a transmis le grammairien Festus et qui lui étaient venus sans doute de fort loin, nous montrent chaque chef de famille patricienne, chaque pater au sens ancien de ce mot, distribuant des lots de sa terre « aux petites gens. » Ces petites gens sont les cliens, les plébéiens, les prolétaires. De telles distributions, visiblement, ne portent pas sur la propriété, mais seulement sur la jouissance. C’est ce qu’indique nettement l’écrivain quand il ajoute qu’ils distribuaient les lots comme on ferait « à des enfans; » or, dans ce droit ancien, les enfans n’ont jamais la propriété, mais seulement le pécule ; et le pécule peut toujours être repris par le chef de famille. Il ne s’agit donc ici que d’une concession révocable, c’est-à-dire du précaire. Le précaire, dont le droit classique n’a conservé que de faibles restes, a été une des coutumes les plus vigoureuses des premiers siècles de Rome. Il se combinait avec l’institution également puissante de la clientèle. Or, le précaire diffère du louage par trois points essentiels. D’abord il n’est pas un contrat, mais une concession ; Ulpien le définit : « ce qu’on accorde à la prière de quelqu’un. » Puis il n’a pas, comme le louage, un terme fixé d’avance ; il dure « autant que le concédant veut qu’il dure, » et il est rompu par sa seule volonté. Enfin, il ne contient jamais un prix ferme. Ce dernier trait lui donne l’apparence d’une faveur gratuite ; en réalité, cela soumet le précariste à toutes les exigences du propriétaire, qui a la faculté de l’évincer à tout moment. Ce qui caractérise surtout le précaire, c’est qu’il n’est pas un lien de droit ; n’étant pas un contrat, il ne lie pas légalement le concessionnaire ; encore moins lierait-il le concédant. Le précariste ne peut pas prétendre garder la terre un jour de plus que le propriétaire ne le lui permet. Qu’une contestation surgisse entre ces deux hommes, il suffira que le propriétaire prouve qu’il « a accordé en précaire ; » le juge devra dire au précariste : « Ce que tu occupes en précaire, restitue-le. » Vieille formule judiciaire qui est encore dans Ulpien, mais que nous trouvions déjà dans Térence et dans les plus anciennes inscriptions.

On peut donc admettre que la concession en précaire fut d’abord la forme préférée des Romains pour faire cultiver le sol par des mains qui ne fussent pas esclaves. Quelques siècles se passent et nous apercevons d’autres usages. Caton ne mentionne ni précaire, ni précaristes. Il signale deux sortes d’hommes libres qui travaillent sur le sol d’autrui. Ou bien ce sont des mercenaires qui louent leur travail et sont payés à la journée. Ou bien ce sont des hommes qui se chargent des parties les plus délicates de la culture et qui acquièrent ainsi un droit sur une part de la récolte. Par exemple, ils donnent la dernière façon à un champ et ils reçoivent la sixième partie