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exempt du service de guerre ; il était donc le seul sur qui la terre pût compter. Ensuite, un homme libre aurait eu ses intérêts à part, ses droits, son indépendance vis-à-vis du maître ; il était plus sûr que le maître confiât ses intérêts à un homme qui ne fût rien que par lui, qui n’acquît rien que pour lui, qui fût enfin à sa discrétion. Ce chef des esclaves, esclave comme eux, s’appelait un villicus. On se trompe fort quand on traduit ce mot par fermier. Il n’y a ici rien qui ressemble au fermage. Cet homme n’a aucun contrat, aucun droit sur les récoltes, aucun profit personnel. Il ne travaille que pour le maître, à qui il doit compte de tous les produits de la terre. Le maître l’a choisi pour commander à ses compagnons d’esclavage, pour diriger leurs travaux, pour les punir en cas de négligence. Il est le bras et l’œil du maître.

Pour un domaine de quinze ou vingt esclaves, un villicus suffisait. Sur les grands domaines, le personnel était plus nombreux. Nous trouvons dans Columelle, au début de la période impériale, une description assez nette de la « famille rustique. » Elle peut comprendre jusqu’à plusieurs centaines de personnes. On la distingue en plusieurs catégories suivant la nature des travaux. Les uns sont laboureurs et moissonneurs ; les autres sont vignerons ; d’autres sont bergers. Si le domaine est très grand et les esclaves très nombreux, on les répartit dix par dix, et l’on a ainsi des décuries de laboureurs, des décuries de bergers, des décuries de vignerons. Ce n’est pas tout encore. Parmi les esclaves ruraux on compte des ouvriers. Il y a, en effet, des charrues et des voitures à construire ou à réparer. Il y a sans cesse quelques travaux à faire aux bâtimens et aux toitures. Il y a le blé à moudre, le pain à cuire, les vêtemens à tisser. Le domaine doit avoir en soi tout ce qui est nécessaire à la vie. Il faut, autant que possible, ne rien acheter au dehors et ne pas appeler d’étrangers. Le domaine est un petit monde qui doit se suffire à lui-même. Aussi y trouvons-nous des meuniers, des boulangers, des charrons, des maçons, des charpentiers, des forgerons, des fileuses et des tisseuses pour faire les vêtemens des esclaves, et même des barbiers pour les raser. Comme le village libre, ainsi que nous l’avons dit, n’existe pas ou est rare, il faut que tous les élémens de population qui vivraient dans un village de nos jours existent à l’intérieur d’un domaine rural de l’époque romaine. Mais ces hommes sont de condition servile et appartiennent au propriétaire.

Une hiérarchie de chefs commande à cette population. Chaque décurie de laboureurs, de vignerons ou de bergers a son surveillant ou son instructeur, qu’on appelle monitor. Les divers métiers ont leurs chefs des travaux, magistri operum. Quelques hommes ont des emplois de confiance. L’un est sommelier, cellarius ; il distribua